UNE
EXPLORATION QUI SE TERMINE MAL...
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Depuis quelques semaines, un sujet palpitant faisait battre le cœur de quelques garçons amateurs d'aventure... Un soleil radieux brille sur la Chaussée, c'est un long jeudi qui commence. Le village est désert et toute promenade en bicyclette serait insupportable. Deux jeunes garçons se sont retrouvés sur la petite place. Que faire par une telle journée ? C'est alors que Pierre LEULIER et Daniel SCHIMEL les aperçoivent et la discussion commence. Après un quart d'heure de conciliabule, la décision est prise... Un premier garçon part d'un pas sûr vers Tirancourt tandis que les trois vélos se séparent. Quelques instants après, quelques vieux outils sont rassemblés sur l'un des porte-bagages et les voilà en route pour l'aventure. Passé Tirancourt, ils aperçoivent leur camarade qui marche nonchalamment. A leur vue, le garçon détale mais il est bientôt rattrapé.
En arrivant au bas d'une petite côte, ils distinguent nettement la première butte du Camp de César qui, bien installée sur le bord de la route les attendait.
Les quatre enfants s'engagent dans une vallée sombre. Deux vélos sont déposés tandis que les outils sont détachés du troisième. Alors, l'un d'eux s'élance à travers l'herbe dans la direction des souterrains, mais à la vue de l'entrée en mauvais état, il s’arrête ; ses camarades en font autant.
« Je crois que je pourrais rester là pendant que vous visitez » propose un garçon. Il est accompagné aussitôt par "le marcheur" et tous deux repartent ...
Pendant ce temps là, Pierre et Daniel pénètrent sous le porche de craie fissurée ; mais les portes sont cadenassées. Daniel a une autre solution et il demande à Pierre de le suivre. Arrivés dans une grotte qui paraît sans issue, Daniel montre du doigt un tout petit trou par lequel il faudra entrer. Pierre passe le premier ; après de gros efforts le voilà à l'intérieur, Daniel lui passe les outils et le bâton et, à son tour, il se hisse sous la paroi épaisse et solide.
Les voilà dans une deuxième salle. Un nouveau trou un plus grand que le premier laisse passer le jour ; ce sera leur deuxième porte. Deux piles électriques s’allument et l'inspection commence. Des galeries de dimensions considérables (environ 700 mètres) creusées pendant le Moyen-Age leur permettent un passage sûr. Après avoir parcouru ces couloirs sombres pendant près d'un quart d'heure, une lueur ardente leur brouille la vue ; c'est l'entrée. Après avoir respiré quelques instants à l'air pur, ils repartent dans une autre direction, mais cette galerie ne mène pas loin et ils sont bientôt obligés de revenir sur leurs pas.Sur le chemin du retour, ils aperçoivent un tout petit conduit, qu'ils suivent bientôt, ils sont obligés de dégager un amas de pierres qui bouche l’entrée. Pierre, qui est le premier, est chargé de visiter cet endroit : de la terre et des cailloux forment un. toit peu sûr. En revenant à quatre pattes, il laisse le soin à Daniel d'aller voir cette cheminée . « Tu peux y aller mais fait attention, le toit n’a pas l'air très solide » dit-il. Pierre se blottit dans un coin et, Daniel peut ainsi le croiser, il fait quelques mètres et monte dans le souterrain.
« Pierre ça tombe... » s'écrie Daniel. Il est 16 h.10. Comprenant immédiatement ce qui se passe, Pierre se précipite vers Daniel et il commence à dégager la terre qui bouche le trou par lequel il était entré. Pierre s'énerve un peu ; en effet en allant qu'il débouche, des pierres se détachent et tombent. Tout à coup se produit un nouvel éboulement Pierre s’affole : « Où as-tu mal ? »
« Partout » lui répond une voix qui est encore assez forte. Mais de grosses pierres l'empêchent de retirer la terre et les pierres qui tombent sur Daniel.
« Daniel ! »Seul un murmure répond à Pierre qui creuse toujours, mais la terre commence à envahir le petit couloir crayeux et les silex lui arrachent la peau des jambes et des bras. Après vingt minutes de dur combat épuisé et sentant que la peur monte Pierre s'écrie :« Tiens bon, je vais chercher du. secours. »
Alors, Pierre s'élance dans le noir ne retrouvant plus les piles, il casse deux barreaux de bois de la porte d'entrée pour sortir plus rapidement et s'élance à travers le Camp de César. A une centaine de mètres de là, il voit un homme assis dans un fauteuil, et retenant son souffle il lui raconte tout ce qui vient d'arriver. Pierre le conduit sur les lieux le plus rapidement possible. Jugeant la situation grave, l'homme court à sa voiture en lui criant : « Je vais chercher du secours tiens lui compagnie. »Alors, Pierre retourne près de Daniel dans le noir tout en tâtonnant. Par bonheur il retrouve une pile électrique qui éclaire encore un peu, ainsi l'on peut voir le pied de Daniel qui passe. Pierre se met à lui parler, il lui donne quelques conseils : "Mets tes bras sur ta tête si tu le peux et respire sans trop ta fatiguer", Do temps en temps il arrive encore à se manifester. Pierre continue de creuser tout à coup pris de panique il court vers la sortie pour voir si l’homme est revenu. Celui-ci le rassure en lui disant que les pompiers ne vont pas tarder à venir...
Pierre retourne près de Daniel pour continuer son travail, alors des civils arrivent en courant; trois hommes viennent au secours de Daniel, Pierre comprend que son travail est fini, malgré cela il pense à son copain qui est dans une mauvaise position et dans un mauvais état. Il sort du souterrain, le soleil l'éblouit et il va s'étendre sur l'herbe au dessus de I’endroit où est Daniel. Aucun bruit d'éboulement ne se fait entendre.Une vingtaine de personnes sont là, parmi elles le Docteur Galland. Tout à coup, un fourgon rouge apparaît, accompagné de son avertisseur sonore qui fait beaucoup de bruit. Il y a déjà une trentaine de minutes que Daniel est sous les décombres ; après avoir brièvement expliqué aux pompiers ce qui se passait, une dizaine d'hommes s'engagent par la porte maintenant tout à fait démolie tandis que Pierre part avec un homme à la gendarmerie. C'est la troisième fois qu'il fait la récit de l'accident. Après cela, l'homme et Pierre remontent dans la DAF et suivent l'Estafette des gendarmes, le passage à niveau se trouve fermé : un coup de klaxon et le passage devient libre.
Tandis que les gendarmes filent vers les lieux de l'accident, l'homme et Pierre arrivent chez Monsieur SCHIMEL pour lui annoncer ce qui vient d'arriver à son fils. Il n'y a que son frère Rémi à la maison. Celui-ci part prévenir son père. Quand ils arrivent, près de cent personnes attendant anxieusement des nouvelles de Daniel. Une vingtaine de voitures sont sur les lieux de l'accident. Peu de temps après, Pierre est demandé dans le souterrain pour déterminer la position de Daniel. C'est à cause de cette position que l'on ne put pas passer de tuyau à oxygène par sa jambe de pantalon ce qui lui aurait permis de résister plus longtemps. A l'intérieur les pompiers étaient soumis à un travail de forçats, bien qu'ayant un bon matériel.
La première chose qu'ils retrouvent est la paire de lunettes de Daniel, ensuite un bout de pied est aperçu ; à ce moment le Docteur vient faire une piqûre à la jambe de Daniel...Vers dix-neuf heures Daniel est sorti sur une civière puis mis dans la fourgon rouge, là, on lui branche un appareil à oxygène pour satisfaire sa respiration, Daniel a froid, il est très pâle.
Le soir, à peine rentré à la maison, les parents de Pierre l'interrogent et-pour la vingt troisième fois, il raconte son aventure.
Daniel a subi quelques radiographies, il n'eut rien de cassé mais il a fallu tout de même le laisser quelques jours en observation au Centre hospitalier d'Amiens.Pierre LEULIER
Agé de 15 ans
Article du « Noère ed Coeuchie »
28 juin 1966
Document aimablement prêté par Dany DHEILLY
Par la suite, Pierre LEULIER écrira un autre article :
Y A-T-IL UN TRÉSOR SOUS LE CAMP CÉSAR ?Nous étions deux enfants en mal d'aventures, deux copains prêts à tout ! Une rumeur avait parcouru le village : on avait trouvé une ouverture aux souterrains du Camp César ! Nos premières visites furent fructueuses, nos rêves devenaient réalité.
Imaginez deux gamins ignorés de tous, parcourant des kilomètres sous terre, guidés par une lampe de poche et suivis par une ficelle pour le retour. A chaque virage, à chaque ouverture , un monde nouveau venait encourager notre progression. Bien sûr, cela ne pouvait durer !
Après avoir remarqué un tunnel bouché par de la terre, nous avons tenté d'en faire chemin de notre prochaine sortie. Mais, lorsque mon copain Daniel y est entré, les gravats l’ont recouvert. Mes efforts pour le dégager sont restés vains et j'ai dû appeler au secours. Après quelques heures de travail, les pompiers l'ont sorti sain et sauf
Bien sur 1a leçon était sévère : le fruit de nos recherches fut une bonne leçon de morale et les souterrains furent fermés à tous.Si le mystère de cette cachette sous terre nous avait fait rêver, nous ne savions rien encore des longs couloirs silencieux et de ceux qui nous y avaient précédé.
Pour les comprendre, remontons au XIII Siècle. C'est vers 1220 que commence l'histoire de nos souterrains. Après la destruction des églises romanes, le clergé décide avec son peuple , la construction de grands édifices. Une âpre concurrence se développe d'un diocèse à l'autre et l'on se met en quête de pierres de bonne qualité. A cette époque, 1e lieu des carrières est nommé Bello Manso, il appartient a un territoire situé entre HEDICOURT (St SAUVEUR) et la CAUCHEE de PINQUEGNY (La Chaussée-Tirancourt). Le Lieu dit se nomme THIEURENCOÜRT.
Maintenant les souterrains se nomment les carrières de BEAUMEZ , ou carrières TIRANCOURT .
Les premières extractions serviront à l'abbaye de St Jean d'AMIENS, des blocs de grande taille et d'un bon grain seront tirés sur l'ancien chemin de BREILLY puis remonteront la Somme sur des bateaux jusqu'au plus près des édifices.
Si la Cathédrale d’AMIENS naît en 1220, c'est surtout à la construction de la nef que nos pierres vont être utilisées comme contreforts intérieurs et non pas comme parements. Tout au long du Moyen Age, de nombreuses chartes vont témoigner de la vente et de l'utilisation des pierres de BEAUMEZ, pour des constructions amiénoises comme la prison de MEHANT au BEFFROY.
Vers 1400, les galeries ont déjà deux kilomètres de long et la vie s'y organise quelques cheminées de ventilation débouchent à la surface.Sur la face Ouest du Camp César, plusieurs ouvertures sont percées afin de sortir les pierres, mais aussi les gravats qui sont entassés sous forme de buttes (buttes du Camp César) ; les tunnels sont suffisamment larges pour laisser passer les chariots dont les roues ont laissé leur empreinte au sol. Aujourd’hui, on ne peut plus reconnaître nos pierres car elles ressemblent trop à celles extraites à CROISSY.
La Guerre de Cent ans oblige les hommes à se trouver des cachettes ; ainsi nos souterrains vont connaître une nouvelle vocation. Une vaste pièce est creusée, on découvre plusieurs nappes de silex et, en levant les yeux, on croit retrouver le chœur reconstruit ailleurs.
Pendant la guerre de 1914-I918, les souterrains seront encore de bonnes cachettes. Les ouvertures de la face Ouest sont bouchées et des sapins commencent à garnir les buttes. A l'intérieur, il fait froid (environ 10°) et on s'éclaire avec des lampes à huile et à graisse. Les Anglais, bien installés dans les lieux, vont dresser des plans précis en 1918. Mais, lors de l'invasion de 1940, ce travail est réduit à néant par les Allemands ; le cheminement complexe des galeries ne sera pas retrouvé.
En 1944, les militaires allemands plantent des pieux sur les plateaux où pourraient atterrir les libérateurs ; le camp César n'est pas exempt. Au dessous, quelques habitants du village ont réussi à échapper à la vilaine besogne. En effet, Monsieur Henry De Francqueville a obtenu des autorités allemandes la réouverture des souterrains pour abriter la population des villages aux alentours. Pendant trois jours, on se réfugiera dans les profondeurs de la terre pour échapper aux dernières heures de la guerre .
Après 1a libération, des habitants d'un village voisin vinrent récupérer le bois qui soutenait l'entrée ; ce fut l’éboulement. Il n'y eut plus de possibilité de retourner dans les souterrains.
Depuis ce temps, leur présence déchaîne toujours les curiosités que va-t-on chercher sous le Camp César ? Oui, il y a un trésor caché là bas, mais certainement pas au fond des grottes ! Découvrez le plutôt du haut de I'oppidum un paysage riche par ses terres joliment boisées, ses marais déjà enviés et son histoire qui marie si bien les Hommes au patrimoine qu'ils partagent.