LA  BATAILLE  DE  LA  SOMME
(Mai - Juin 1940)

Texte de Monsieur l’Abbé BOURGEOIS, lieutenant au 60ème R.I.,
paru dans le Bulletin paroissial de septembre 1941 :
« Le Rayon de Soleil de Belloy, La Chaussée, Breilly »,

édité par l'Abbé Paul DENTIN, curé de Picquigny et La Chaussée-Tirancourt.

Monument commémoratif de la Bataille de la Somme, situé entre Picquigny et Breilly.

28 septembre 1941

Chers Paroissiens,

Je suis très heureux de faire connaître les notes écrites par M. l’Abbé BOURGEOIS lieutenant au 60e RI – elles intéresseront beaucoup tous mes paroissiens, ceux de Breilly et aussi ceux de Belloy et de La Chaussée. Les soldats français qui se sont battus à Breilly les 5 et 6 juin 1940 méritent tous, les morts et les vivants, ce modeste témoignage de reconnaissance.

« Le 26 mai, venant d’Alsace, le 60e RI qui tenait avant la guerre garnison à Besançon, monte en ligne sur la Somme, immédiatement à l’Ouest d’Amiens. Il doit tenir coûte que coûte un front d’environ 10 kilomètres. Encore, le Colonel ne dispose-t-il que des 1ers et 3e Bataillons, le 2e lui étant enlevé pour être placé en réserve de Division.
Pendant huit jours, les unités organisent la position avec des moyens de fortune et repoussent plusieurs coups de mains ennemis. Dans les P.C. on cherche anxieusement à résoudre ce problème insoluble avec 1500 hommes, et personne derrière : interdire à l’ennemi 10 kilomètres d’un terrain boisé, coupé de ravins, favorable à l’offensive, car il comporte peu de grands champs de tir. On fait pour le mieux, mais sans illusions : si l’ennemi attaque en masse, on ne peut l’empêcher de passer ; il y a par endroits, 500 mètres entre les points d’appui, 500 mètres de bois, de taillis, de jardins, par où l’ennemi s’infiltrera comme il voudra. Cela ne fait pas grand-chose, deux bataillons sans soutien, étirés sur 10 kilomètres, pour une mission de résistance à outrance…
5 juin – 4 heures. Précédés et accompagnés d’un très violent bombardement d’artillerie et d’aviation, l’Infanterie allemande attaque en masse. Plusieurs régiments se jettent entre nos deux bataillons ; comme on le prévoyait, le dispositif est submergé ; pour le comble, à gauche du régiment une division Coloniale, attaquée au cours de relève, est disloquée et reflue ; le flanc gauche du 60e est complètement découvert. Les Allemands s’infiltrent entre les ponts d’appui et progressent. Nos sections, nos compagnies sont encerclées les unes après les autres et farouchement continuent à se battre, faisant front de tous les côtés. Le Capitaine MARGOT, Commandant de la 2e Cie, le Lieutenant MARTIN, le Sous-Lieutenant LANGRENAY, sont tués ; le Capitaine VOLGEMUTH, l’Adjudant-Major du 1er bataillon, est blessé, ainsi que le Lieutenant CHAUVIN et les Sous-Lieutenants MOUREY et MONNOT. Privés de leurs Officiers, les hommes tiennent et repoussent les assaillants.
6 heures. Le Commandant GUEYRAUD est mortellement touché à son P.C. du 1er bataillon ; son Officier Adjoint, le Lieutenant PANEt est très grièvement blessé.
7 heures. Le 1er bataillon est encerclé tout entier. Les Allemands ont progressé de 2 à 3 kilomètres ; ils viennent se heurter contre la Ferme des Romons tenue par l’Adjudant TARRIDE et quelques Éclaireurs Motos, et la Ferme Saint Christ, P.C. du 3e bataillon, défendue par la section de commandement et une section de mitrailleuses. Pendant toute la journée, l’ennemi va s’acharner sans succès contre ces deux points d’appui. Il est d’ailleurs gêné, sur ses arrières, par la résistance des éléments de 1e ligne qui continuent à combattre même après encerclement, dans les villages de Picquigny, Breilly, Ailly et dans les bois au sud de la Somme. Partout l’attaque revêt la même forme ; bombardements intenses, par canons et mines, bombardements et mitraillages par l’aviation adverse, complètement maîtresse du ciel, enfin, assauts d’infanteries. Magnifiquement, par masses compactes, les Allemands foncent en chantant, ils sont fauchés par le tir des F.M. et des mitrailleuses. Alors, sans un instant de répit, le cycle infernal recommence. Décimés, épuisés, nos gars s’accrochent au terrain. Et malgré tout, ça tient…
13 heures. La Ferme Saint-Christ est assaillie avec une violence exceptionnelle. Elle barre de ses feux le vallon qui conduit à Saisseval et l’ennemi veut passer coûte que coûte. Il parvient au prix de lourdes pertes à moins de 500 mètres des défenses de la Ferme ; le Commandant GAUCHERAND, du 3e bataillon et le Capitaine MATRON de la C.A.3, sont sérieusement blessés et évacués, le Capitaine de MALEZIEUX, Adjudant-Major est tué en servant lui-même un mortier de 60 m/m. Les Allemands tirent à balles incendiaires, la ferme prend feu ; dans les caves, des munitions sautent. Le Lieutenant CHARRIÈRE, Officier-Adjoint ; le Lieutenant BOUTEILLIER, de la C.R.A., le Lieutenant ROUSSEAU, de la C.A.3, prennent la direction de la défense ; l’ennemi est une fois de plus repoussé.
17 heures. La 9e Cie est à son tour complètement encerclée. Plus favorisée par le terrain, la 10e, Capitaine KERLEROUD, soutenue par la 11e, Capitaine Caton, réussit au prix d’efforts héroïques, à maintenir ses liaisons avec l’arrière tout en gardant ses positions en forêt d’Ailly. Le lieutenant de la Serre, de la 10e, s’offre volontairement comme cible aux armes automatiques de l’ennemi afin d’en permettre le repérage. Le Sous-Lieutenant BOUCHER de la C.A3 est blessé et refuse de se laisser évacuer, pour rester avec la Cie qu’il est chargé d’appuyer.
Le 2e bataillon est rendu au Colonel qui l’engage aussitôt. Entraîné par son chef, le Lieutenant MAQUET, la 5e Cie contre-attaque et reprend de haute lutte le village de Fourdrinoy. Appuyés par des chasseurs du G.R.D. 17 elle réussit à s’y maintenir. Mais elle perd le Lieutenant GUENOT grièvement blessé à la tête et au ventre, les Sous-Lieutenants COURTY et SAGAZA tués. Devant Fourdrinoy, les masses allemandes sont si denses qu’on tire dedans au canon de 25 m/m.
21 h30. Un bataillon allemand fraîchement débarqué, donne l’assaut à la ferme Saint-Christ qui brûle toujours, et où vient d’arriver en renfort une section de la 7e Cie avec les Lieutenants HENRIOT et BLONDEAU ; malgré quoi il n’y a pas en tout 90 défenseurs. Corps à corps sauvage de 20 minutes, au bout duquel les débris du bataillon allemand se replient. Dans le seul chemin de la maison blanche, les cadavres de l’ennemi se comptent par douzaines.
6 juin. Dès l’aube, l’attaque reprend. Il faut évacuer les Romons et Fourdrinoy, devenus intenables, Saint-Christ tient toujours et repousse de nouveaux assauts. A droite les 10e et 11e se maintiennent solidement aux lisières Nord de la forêt d’Ailly, mais il faut évacuer à la 10e, tous les chefs de section, le Lieutenant de la SERRE, les Sous-Lieutenants BERGEREY et PAROT, plus ou moins grièvement blessés, et le Sous-Lieutenant BOUCHER touché à nouveau.
Au prix de pertes effroyables, les Allemands, sans cesse renforcés avancent malgré tout. Le 2e bataillon s’accroche au rebord Sud du plateau de Fourdrinoy ; le Lieutenant GUÉDIN de la C.A 17 fait au fusil et à la mitrailleuse des ravages dans les rangs ennemis, et ramène sur son dos plusieurs de ses hommes blessés. La situation est critique. Le Capitaine de St BLANCA commandant le 3e bataillon, contre-attaque lui-même à la baïonnette avec une cinquantaine d’hommes. Il tombe foudroyé par une rafale, en pleine poitrine. A ses côtés, les Sous-Lieutenants GIRON et GUIPEY sont mortellement atteints. Le Lieutenant de VAUX, des Pionniers, est blessé.
9h. L’ennemi prend pied dans le hameau de Saissemont et atteint les lisières de Saisseval, dans ce village bombardé et incendié, le Colonel et son P.C. se défendent pied à pied. Depuis 30h les hommes n’ont rien mangé, pas dormi, ça tient quand même. Des mitrailleurs ont les mains brûlées à force de tirer, des gars faits prisonniers s’échappent et remettent ça. Si seulement on avait du renfort, ils ne passeraient pas, mais ils sont trop…
Midi. L’ennemi débordant largement sur la gauche, la division communique l’ordre de repli. Méthodiquement, au milieu des pires difficultés, les éléments qui ne sont pas encerclés décrochent. St Christ est évacué après 13h, la forêt d’Ailly après 14h. Au cours du repli, le Lieutenant HIVEN, officier des transmissions est tué. 36h de lutte ont coûté au régiment 13 officiers tués ou disparus, avec des dizaines de Sous-Officiers et des centaines d’hommes et les blessés sont plus nombreux. Les survivants commencent vers le Sud une retraite jalonnée de combats ; et 200 gars seulement exténués essaieront de passer la Loire, mais le 6 à midi l’ordre de repli n’est pas parvenu aux éléments encerclés. Sur les bords de la Somme, dans les bois d’Ailly et de Picquigny, des gars sans eau ni vivres ménagent leurs munitions pour tenir le plus longtemps possible. Le dernier carré succombera le 7 juin à 17h30 alors que les Allemands arrivent sur la Bresle. »

A La Chaussée-Tirancourt

Pendant que les troupes anglo-françaises essaient de résister contre l’envahisseur, d’importants combats ont lieu le long de la Somme, dans la région d’Abbeville, fin mai, début juin.

La « Bataille de la Somme » fera de nombreuses victimes sur notre territoire communal :
Les 2 et 3 juin, quatre Allemands sont tués dans le potager de Monsieur de FRANCQUEVILLE au château de Tirancourt, un autre chez Monsieur LEFLON C., Route Nationale, et un dernier dans la pâture de Monsieur FOURNY Henri, face à la maison de Monsieur Elie LEROUX, retraité SNCF.

La première guerre mondiale a épargné les maisons du village mais elle a fait 21 victimes militaires parmi la population, en majorité des jeunes de moins de 25 ans. A l’inverse, le deuxième conflit mondial a détruit beaucoup d’habitations et fait de nombreuses victimes civiles.
Lors de l’avance allemande, la commune de La Chaussée-Tirancourt, alors peuplée de 431 habitants, fut violemment bombardée par les avions ennemis; il y eut de nombreuses victimes et des destructions importantes:
- 3 militaires tués,
- 17 civils tués,
- 7 civils blessés,
- 10 maisons détruites, dont 6 à 100%,
- 2 hangars agricoles incendiés,
- 50 maisons endommagées ainsi que l’école et la Mairie.

Une partie des habitants avait été évacuée. Ceux qui pensaient y demeurer furent expulsés par les Allemands qui en profitèrent pour piller les maisons.

Un seul militaire de La Chaussée-Tirancourt a trouvé la mort au cours de la seconde guerre mondiale: PION Auguste, le 18 Juin 1940, à La Chapelle d’Angillon, dans le Cher. Il était soldat au 212° Dépôt de guerre d’infanterie, il venait d’avoir 29 ans.

Il est inhumé dans le cimetière de La Chaussée-Tirancourt.

PION Auguste François Albert, né le 23-04-1911 à Picquigny SOMME
Soldat au 212e Dépôt de guerre d'infanterie
Mort pour la France le 18-06-1940 à La Chapelle d'Angillon CHER
Cote AC-21P-127647

Le retour des évacués

Que de tristesse au retour ! De nombreuses maisons sont endommagées, 6 sont détruites à 100% :

- Rue du Marais : SEHET Paul, CARON André, SEHET Narcisse
- Rue de Picquigny : RETHEL Alfred
- Rue du Puits : LEGRAND Georges
- Rue de la Terrière : FOURNY Henri

Les habitations ont été pillées par des Allemands ou des réfugiés de passage et peut-être par d’autres… La situation est grave: il va falloir affronter l’hiver, les restrictions, la pénurie…

L’atmosphère n’est pas à la joie...