Discours de Gervais CHOQUET
à la Mairie de Léalvillers le 20 avril 2008

Gervais CHOQUET s’adresse à Noël :

Bienvenue à Noël et à ses enfants,
Vous nous venez de NOUVELLE ZELANDE, à 2 000 Kms au sud-est de l'AUSTRALIE, en langue Maori, AOTEAROA, le pays du long nuage blanc.
Découverte en 1642, par le Hollandais TASSMAN, James COOK en explorera le littoral en 1769-1770 pour en dessiner les cartes qui seront précises.
Nous connaissons cette île du Pacifique pour ses élevages extensifs de moutons et de vaches laitières et sa production de kiwis.
La seconde guerre mondiale vous fera venir en Grande-Bretagne, peut-être le pays de vos ancêtres, comme vos aînés de l'Anzac (Australian and New Zealand Army Corps) qui seront commémorés le 25 avril prochain, qui après avoir combattu en 1915 à GALLIPOLI en TURQUIE, sont venus dans la Somme en 1916. Nombreux d'entre eux reposent au cimetière Caterpillar Valley de LONGUEVAL où a été exhumé le soldat inconnu qui a rejoint votre pays en 2004, puis en 1918, ont épaulé la 5ème armée britannique pour botter l’ennemi dehors.
Membre de la Royal Air Force, pilote de Thyphoon, vous êtes venu en décembre 1943 à votre tour dans la somme bombarder les bases de V 1 qui mettaient à mal LONDRES et le Sud de l'ANGLETERRE, armes qui, se perfectionnant, auraient pu changer le destin de la guerre.
Au retour de votre mission, vous serez forcé d'atterrir en catastrophe à CROUY SAINT PIERRE, près de PICQUIGNY.
Vous êtes alors récupéré puis pris en charge pour être protégé par des familles de la CHAUSSEE- TIRANCOURT.
Puis, vous connaîtrez la famille SERAN à SENLIS LE SEC. Vous serez ensuite à VARENNES EN CROIX, chez Hector BOUCHEZ, deux endroits où vous serez en compagnie d'autres aviateurs canadiens.
En juin 1944, arrivera à VARENNES un britannique atterri entre WARLOY BAILLON et SENLIS.
Le 2 août, suite à la demande de Monsieur Ernest MASSARY de LEALVILLERS, membre de l'organisation civile et militaire, sa fille Colette, institutrice à SENLIS LE SEC, dirigeait les aviateurs alliés d'un domicile à l'autre.
Nos grands-parents vous accueillent, vous le sergent Noël James HELEAN, et le souslieutenant FORWELL (Bill).
Vous connaîtrez mon père, mon oncle et Henri THIBAULT d'AMIENS, ici présent, qui est affecté aux travaux de la ferme pour échapper aux réquisitions du service du travail obligatoire en ALLEMAGNE.
Durant votre séjour, il fallait composer avec les tickets de rationnement et la discrétion.
Mais, vous n'hésitiez pas, avec Bill, à traverser la cour de la ferme pour donner le coup de main à rentrer la moisson. Comme il faisait chaud, il fallait se désaltérer. Le cidre du pays et le vin vous laisseront quelques souvenirs.
Tout cela était bien jusqu'au jour du 24 août où les allemands arrivent pour installer leur bureau sous votre chambre. Certes, on est peut-être mieux dans la gueule du loup, mais cela pouvait être dangereux. Aussi, mon grand-père ayant averti Monsieur MASSARY, vous fit sortir pour vous cacher derrière les haricots à rame puis, passant par les prés, vous trouverez protection à la ferme GERIN.
Là encore, vous auriez pu être découvert. Vous vous cachez à nouveau, averti par Michel LANNOY que les allemands en débâcle venaient prendre des chevaux.
Le 1er septembre 1944, les américains, à la poursuite de l'ennemi, libéraient le village.
Vous sortez d'on ne sait où pour les habitants qui ne savaient pas.
Photographié au monument aux morts, nous garderons précieusement les photos.
La RAF vous récupérera et vous intégrera à nouveau.
Nous vous saurons en PALESTINE en 1945.
Le lieutenant FORWELL (Bill) qui avait écrit en 1947 et 1952 sera officier instructeur à la base d'ANDOVER au sud de LONDRES, mais nous avons perdu sa trace.
Certains étaient engagés pour leur opinion, leur conviction, dans des réseaux ou des organisations structurés. D'autres, plus simplement, ouvrirent leur porte et n'hésitèrent pas à apporter protection à ceux tombés du ciel.
Cela leur était naturel d'aider à leur niveau. Mais fallait-il avoir une forte dose d'inconscience face aux risques encourus. Ils ne le savaient certainement pas.
L'utilisation de la dénonciation, l'humiliation des otages, la torture, les déportations des populations civiles, l'occupant s'y connaissait depuis quatre ans qu'il souillait la FRANCE.
Et puis, ne l'avaient-ils pas déjà pratiqué en 1914 et 1918 ? Et même en partie en 1871.
L'été 1944, la bête nazie était affaiblie mais pas morte. Dans les jours qui précédèrent l'arrivée des alliés, des massacres ont eu lieu.
Je penserai aux jeunes de BONNEVILLE, près de DOMART EN PONTHIEU, jetés tels des pantins désarticulés dans les bois d'ACHEUX EN AMIENOIS.
Le dernier train de déportés pour l'Allemagne partira de COMPIEGNE le 17 août 1944.
Madame FERTEL de la CHAUSSEE TIRANCOURT, qui vous hébergea, puis ensuite d'autres aviateurs, sera dénoncée et déportée à RAVENSBRUCK, là où les sapins du MECKLEMBOURG n'apportent pas d'espérance.
Peut-être y-a-t-elle côtoyé Germaine TILLION, du parti communiste français, et la nièce du Général de Gaulle, Geneviève ANTONIOZ DE GAULLE, femme de foi, qui écrivait en
1946 : « Dieu, dans le camp de concentration est à la fois immédiat et infiniment lointain. Il ne pénètre là qu'extérieurement, comme en enfer et encore, mis à l'isolement au bunker, ce n'est pas un silence qui me répond mais la misérable rumeur de ma détresse »
Nous, les descendants de ceux qui vous ont protégé, qui avons entendu parlé de vous, vous veniez d'un pays si lointain, nous vous remercions d'être revenu si longtemps après, nombreux sont ceux de nos familles qui ne sont plus là.
Nous aurons eu la chance toutefois de vous connaître.
Merci encore Noël et à vos enfants qui vous accompagnent.
Merci à la Municipalité et à l’Association Somme Aviation 39/45 pour la ténacité de ses recherches.