FERNAND  BERGER
UN  AMOUREUX  DU  MARAIS
DE  LA  CHAUSSÉE-TIRANCOURT

M. Berger fut locataire dans le marais de La Chaussée-Tirancourt entre 1965 et 1975.

Article de Christian GRICOURT

Un homme hors du commun

Vers la fin des années 20, l’institutrice de mon père était Madeleine Berger. Son mari - Fernand - était un chasseur passionné, très amateur des grands setters anglais de l’époque, plus connus sous l’appellation de Laverack, du nom d’un célèbre éleveur anglais. Je ne sais trop comment mon grand-père paternel, Lucien, s’est vu confier la charge de trouver une action au mari de l’institutrice. Toujours est-il qu’il a rapidement pu faire admettre Fernand Berger dans la société de chasse d’un village voisin - Saint-Sauveur - en même temps qu’il est devenu son porte-carnier attitré. A la même période, mon père et Max, le fils de Fernand, sont devenus très copains et cette amitié ne s’est jamais altérée…

Fernand Berger (Papère comme l’appelaient ses petits-fils) a toujours fréquenté les marais de Mareuil-Caubert puis de Longpré-les-Corps-Saints. Lorsqu’il a décidé de construire une hutte en baie de Somme, mon père a été enrôlé et reçut en échange l’autorisation de fréquenter l’installation. A cette époque, tous les matériaux étaient amenés sur place en brouettes, avec en plus un tonneau de cidre, une cartouche de tabac et suffisamment de victuailles pour l’escouade embauchée à l’occasion. Et parfois, la mer détruisait le lendemain en quelques instants, le travail de toute une journée. Plus tard, j’ai également été enrôlé, avec mes frères. Ces journées de travail se déroulaient toujours à peu près de la même façon. Max, qui tenait une quincaillerie assez importante à Corbie, passait nous prendre le matin. Il était accompagné de ses deux fils, Patrick et Erick, et emportait avec lui dans le TUB Citroën (abréviation de Traction Utilitaire Basse), tous les outils nécessaires et parfois de quoi faire un demi-mètre cube de béton. Nous prenions alors la direction de Longpré-les-Corps-Saints pour retrouver Fernand et gagner les marais tout proches.

Fernand Berger avec
son éternel nœud papillon

Jeune chasseur, mon frère Hervé fréquentait la hutte de la baie de Somme, le plus souvent avec Erick et Patrick. Ces 3 jeunes « fusillots » avaient chacun un superposé flambant neuf et pour se moquer d’eux, Fernand - qui roulait les R - les avait surnommés « les Marius ». Lui, il était resté fidèle, pour la hutte, à un vieux juxtaposé de calibre 12. Et pour protéger de la rouille les canons de sa pétoire, il les avait peints au Targol. Il y avait juste un petit inconvénient : quand il faisait chaud, les canons devenaient collants !

Nœud « pap » et « jambon-confiture »

Fernand Berger - directeur de la coopérative agricole de Pierrepont-sur-Avre - était un homme hors du commun. Le nœud papillon toujours élégant, amateur de tabac anglais, de toute sa vie jamais à l’heure, même pas à son mariage, il adorait les sandwiches panachés « jambon-confiture » et avait une sainte horreur du fromage. Il était avec nous d’une gentillesse à toute épreuve. Il réservait ses coups de gueule à son fils Max et pouvait se montrer d’une incroyable mauvaise foi lorsqu’il essayait de s’approprier les outils de son fils, toujours affûtés et de bonne qualité, en échange des siens, ébréchés, rouillés, édentés, aux manches vermoulus. Un jour, il a réussi à graver en catimini ses initiales sur la serpe de son fils. Quand Max s’est aperçu qu’il s’était fait refiler une serpe hors d’usage, il s’en est pris à son père qui a présenté les initiales comme preuve irréfutable.
Fernand avec le comte de Valicourt

- « Tu viens de les graver à l’instant ! »
- « Ah bon ! Et bien puisque c’est comme ça, la voilà ta serpe ! »
Et hop, au fond de l’étang. Elle doit toujours y être.
Une autre fois, dans un autre marais, nous étions occupés à traverser un étang avec deux barques avançant de front pour transporter jusqu’au pied de hutte un poulailler assemblé de 4 mètres de côté et 2 mètres de haut. Les fils de Max avaient pris place dans une troisième embarcation avec leur grand-père. C’était l’époque des premiers transistors. Erick avait cru bon d’emporter le sien avec lui et la musique nasillarde qui sortait de là, énervait Fernand au plus haut point. Par deux fois déjà, il avait demandé à son petit-fils d’arrêter ce concert. L’autre, provocateur comme on l’est à 14 ans, avait répondu en augmentant encore un peu plus le volume du son. Il n’y eut pas de troisième supplique. Le transistor a connu le même sort que la serpe. Du Pagnol à la mode picarde !
Lors de ces journées, vers onze heures, Fernand partait chercher le ravitaillement : charcuterie, pain, cidre doux et bière de table, parfois une bouteille de vin pour les hommes. Il donnait ses directives avant de s’absenter mais Max était rarement d’accord. Et quand Fernand revenait, il constatait que les choses étaient en ordre, pas nécessairement comme il l’aurait voulu, mais à l’épreuve du temps. C’était l’essentiel !
Je l’ai dit, Fernand a beaucoup chassé. Le gibier d’eau bien sûr, mais d’abord le chacal en Syrie, en 1918, alors qu’il était engagé volontaire, puis des hyènes dans les environs de Damas, mais aussi le grand gibier dans les Ardennes, avec son ami le professeur Maurice Balédent, le faisan en Sologne, et l’ours, dans les Carpates. Mais le trophée se résuma en quelques traces relevées ça et là.
Fernand avait une DS pour les grandes occasions : mariages, baptêmes, enterrements, communions. Il possédait aussi une deudeuche. Elle était constamment garée sur le trottoir et les clés de contact, selon la formule consacrée, « étaient dessus ». Une fois, nous avons déplacé la deudeuche et nous l’avons garé un peu plus loin dans la rue, pensant piéger Fernand. Quand il est sorti de chez lui, il a cherché sa voiture et l’apercevant au bout de la rue il a eu ces mots étonnants :
« Ah, je l’ai garée là-bas ! »

Un coup de masse malencontreux

 
Fernand dresse ses setters : le down
 

Fernand aimait raconter des anecdotes. A sa hutte de l’étang des Provisions, il fallait parfois remplacer les pieux, immergés à 30 mètres devant la hutte et par 5 ou 6 mètres de fond, autour duquel venait coulisser la corde d’attache des appelants. Fernand, en barque, tenait le nouveau pieu et dans une autre barque, un autre homme muni d’une masse frappait dessus pour l’enfoncer profondément dans la vase. On imagine sans mal l’instabilité du chantier. Evidemment, un jour, Fernand reçut un coup de masse, heureusement amorti, sur la tête. Et, toujours à ce moment précis du récit, Madeleine, qui était une personne absolument délicieuse, quittait un instant sa broderie pour ajouter, sourire aux lèvres, ce malicieux petit commentaire :
« Il lui en est toujours resté quelque chose ».
D’ailleurs, bien malgré elle, Madeleine connut aussi le marais, et de très près, comme en ce beau jour d’été. A la fin d’une promenade en barque, Fernand amène le frêle esquif au bord de l’étang et invite son épouse à descendre. Mais pour descendre d’une barque, tous les huttiers le savent, il faut éviter de faire un grand pas et de prendre son élan en poussant avec la jambe restée dans la barque. Car alors, la barque s’écarte du bord. Peu habituée à ce genre d’exercice, Madeleine s’est retrouvée dans la vase jusqu’à la ceinture, sa robe plissée complètement évasée autour d’elle.
Jeune marié, Fernand ne pouvait décemment déserter trop souvent le lit conjugal pour aller chasser le canard. Aussi, il disait qu’il ne partait que pour la volée du matin. Il remontait le réveil avant de se coucher mais il prenait soin de l’avancer de 4 heures. Quand le réveil sonnait vers minuit quinze, Madeleine, d’un œil, s’assurait qu’il était bien 4 heures 15. Au moins le laissait-elle croire. Fernand s’habillait en vitesse et constatant que sa moitié avait retrouvé le sommeil, il reculait les aiguilles pour remettre le réveil à l’heure avant de filer au marais.
Né à l’aube du siècle dernier, le 26 décembre 1899, Fernand repose auprès de Madeleine, au cimetière d’Hallencourt. J’y suis passé récemment…

Christian GRICOURT