LA  LIBÉRATION  DE  LA  CHAUSSÉE - TIRANCOURT

Le 6 juin 1944, le débarquement des Alliés en Normandie met fin à plusieurs années d’occupation : l’espoir renaît !
Pourtant les débuts de l’offensive alliée ont pu paraître longs. L’opération va-t-elle réussir ?
Pendant plusieurs semaines, le front ne s’étend que sur quelques kilomètres seulement. Avranches, ville voisine des plages du débarquement n’est libérée que le 31 juillet. Puis au fur et à mesure de l’arrivée des renforts, de l’ouverture d’un deuxième front en Provence et de la démoralisation des troupes nazies, plusieurs départements sont libérés, la machine de guerre alliée s’emballe: Caen est libérée le 10 Août. Moins de 2 semaines après, les Alliés, auxquels se sont joints des Français, arrivent dans la Somme.
Alors que les F.F.I. pensaient qu’Amiens serait libérée le 1er septembre, les libérateurs arrivent le 31 Août au petit matin.
Les Allemands fuient, détruisent encore sur leur passage et sèment la mort.
La 7ème division blindée britannique arrive à Picquigny, le 1er septembre au matin. De là, des hauteurs, les soldats tirent des obus en direction de Vignacourt sur les soldats de la Wehrmacht en fuite. Certains obus feront des dégâts dans notre village, dont l’incendie d’une ferme.
Les habitants se retranchent dans leurs caves et dans les souterrains du Camp de César.
Il faudra attendre le 2 septembre, au petit matin, pour que les Alliés arrivent à La Chaussée-Tirancourt, les ponts de Picquigny ayant été détruits par les nazis dans leur fuite afin de ralentir leurs poursuivants. Les soldats du génie feront des ponts provisoires.

La débandade des nazis : ils fuient ou se rendent….

Les nazis ne sont plus aussi fiers, aussi arrogants qu’en mai 1940! C’est la débandade! Ils fuient en désordre, essaient de se replier sur le nord. Pour cela, ils volent tout ce qui roule, même des vélos et réquisitionnent des chevaux, des charrettes et les propriétaires. C’est ainsi que M. Charles VASSEUR, réquisitionné avec son attelage, trouve la mort à Sainte-Ostreberthe.
De nombreux soldats allemands se rendent et sont faits prisonniers !
Le 2 septembre au soir, la majeure partie de la Somme est libérée dont Albert, Péronne et Montdidier; il faudra encore attendre quelque temps pour que l’ouest d’Abbeville soit libre. La Libération de la Somme a fait 500 morts.

Le 24 septembre 1944, le capitaine VERSELIPPE Charles, habitant de La Chaussée-Tirancourt fit un rapport détaillé sur la libération de notre village et sur l’action des F.F.I. et des F.T.P.F. le 1er septembre 1944.
Le capitaine VERSELIPPE était officier de la Légion d’honneur, chef du groupe F.T.P.F. matricule 3518.

Le capitaine VERSELIPPE avait remarqué que depuis une quinzaine de jours, 150 Allemands aidés de Russes cantonnés à Picquigny ainsi que plusieurs équipes de travailleurs français réquisitionnés, faisaient des travaux pour défendre l’accès des ponts de Picquigny. Les trois ponts furent minés. Il avait relevé tous ces travaux sans se faire remarquer.

A partir du 30 Août des éléments allemands et des convois commencèrent à passer.
Le 31 août, les convois passèrent sans interruption et prirent la direction de Vignacourt-Doullens. Quelques-uns prirent celle de Flixecourt. Ces convois étaient composés de véhicules de toutes sortes mais marchaient en ordre. Dans la soirée deux grosses pièces d’artillerie allèrent s’installer sur les hauteurs, route de Vignacourt.
Sans être inquiété, il avait pu les regarder passer et avait constaté que les hommes étaient joyeux d’avoir franchi les ponts de la Somme: ils se croyaient en sécurité!
Dans la matinée, une compagnie d’infanterie venue à pied s’était dissimulée dans les prés. Les hommes étaient exténués et affamés. Presque tous étaient des Polonais.
Discrètement, il avait pu prendre contact avec quelques-uns. Ils ne demandaient qu’à se rendre. Certains lui montrèrent des vêtements civils sous leur uniforme. Il avait convenu avec plusieurs d’entre eux, que, dès l’arrivée des Anglais à Picquigny, il les cacherait dans les marais, et qu’ils amèneraient leurs camarades. Malheureusement, ils n’inspiraient pas confiance à leur encadrement, ils reçurent l’ordre de quitter La Chaussée et furent remplacés le lendemain par d’autres militaires.

L’incendie de la ferme RIFFLART

Le 1er Septembre 1944, un grand bâtiment plein de récoltes de la ferme Rifflart situé à la sortie de la commune, sur la route de Vignacourt, recevait dix obus d’une batterie anglaise. Ce bâtiment prit feu immédiatement et mettait en danger le bâtiment d’habitation et les autres granges.
Le pays était occupé par un grand nombre de soldats allemands, en position de combat, pour en interdire l’accès aux Alliés qui étaient à Picquigny depuis 9 h 00.
Le combat d’artillerie et de mitrailleuses était engagé de part et d’autre.
Il était donc très dangereux de sortir mais Monsieur LECLERC Jules, sous-lieutenant de la Compagnie de sapeurs pompiers, n’écoutant que son devoir se rendit aussitôt sur le lieu du sinistre pour en reconnaître l’importance.
Ayant jugé qu’il était urgent de circonscrire l’incendie, il revint chercher la pompe et demanda du secours.
Répondant à son appel, successivement se joignirent à lui :

- GUILBERT René, sapeur-pompier
- LEGRAND Léonce, adjoint au Maire
- CARON Narcisse, conseiller
- VIGNON Michel
- LEVERT Louis
- GUILBERT Daniel
- DUBOIS Pierre
- LEMAITRE Hubert
- TEMPEZ Hyacinthe
- BLANDIN Emile
- SOREL Maxime
- GUERET Michel
- GODIN Pierre

Après bien des efforts, le sous-lieutenant LECLERC et ces personnes purent sauver les autres bâtiments de la ferme. Les pertes se limitèrent au bâtiment incendié avec sa récolte, une batteuse, une vache tuée, une autre blessée, des outils divers et de la volaille.
Si l’incendie n’avait pas été maîtrisé à temps, qui sait, avec les Allemands dans le pays, puis l’action de la Résistance, où il aurait porté ses ravages ?
De plus, il est à noter que l’acte du sous-lieutenant LECLERC et des sauveteurs était d’autant plus méritant que sous l’action de la chaleur de l’incendie, des munitions sautaient, que le bombardement et la fusillade pouvaient être dirigés sur ce groupe d’hommes.

Les pompiers de La Chaussée-Tirancourt peu avant la deuxième guerre mondiale.

La Résistance s’organise

Le 1er septembre, les soldats allemands et polonais qui étaient dans les marais furent remplacés par deux compagnies d’infanterie allemandes qui tinrent les positions et aussi se mirent à piller.
Peu après leur arrivée, averti par un dénonciateur, un groupe d’Allemands vint pour appréhender le Capitaine VERSELIPPE à son P.C. à la ferme BONDOIS, rue à l’Avoine, en bordure du marais, et d’où il comptait pouvoir gagner plus facilement Picquigny pour donner des renseignements au chef de la colonne anglaise, ainsi que déclencher la résistance avec les F.T.P.F. et F.F.I.
Averti à temps par Mme BOSSIN, pseudo Mariette (cousine de René SCHWAL), de la ferme BONDOIS, il put se faufiler dans la propriété de Monsieur MOINE Maurice où M. CUCHET Ferdinand lui fit un abri sous un tas de planches dans le garage. Toutes les pièces, ainsi que les étables furent visitées, mais ils ne poussèrent pas jusqu’au garage, se contentant de piller les pommiers.
Les Allemands ne prirent pas position dans la ferme mais les prés et les abords furent gardés par les armes automatiques. Il en était de même de toutes les issues du village.
A plusieurs reprises, il put revenir à la ferme afin de prendre des renseignements sur la situation. Vers 14 heures, il faillit être pris par l’arrivée inopinée d’un officier allemand et d’une dizaine de soldats. Avec rapidité, il se jeta dans un placard devant lequel les femmes entassèrent quelques malles.
Vers 18 heures, les Allemands amorcèrent leur décrochage. Mme BOSSIN en profita pour aller chercher des renseignements dans le village qu’elle rapporta au capitaine.
A son retour, le capitaine et Michel GUERET qui connaissait l’anglais, traversèrent les marais en prenant des précautions et arrivèrent près du pont de Picquigny qui avait sauté.
La vue d’un mouchoir blanc leur permis d’être reçus par un soldat allié qui les conduisit à son lieutenant puis dans Picquigny au commandant de la colonne anglaise.
Ils donnèrent tous les renseignements qu’ils possédaient sur les environs. Le commandant anglais, le Major John E. EVANS, leur fit part de son intention d’être à La Chaussée le lendemain, dès que le pont serait réparé et qu’il aurait des renseignements sur l’attaque d’Abbeville. Il importait donc de garder La Chaussée comme tête de pont.
Ils revinrent à La Chaussée avec une patrouille de soldats anglais qui fit aussitôt un prisonnier.
Dans La Chaussée, le groupe F.F.I. du chef CHATTE, matricule 2714 qui venait de combattre à Tirancourt et avait progressé dans notre village, débouchait au carrefour Saint-Sauveur/Vignacourt. Une mitrailleuse allemande le tenait sous son feu.

La mort d’Henry de Francqueville

Le Maire M. de FRANCQUEVILLE, de l’autre côté de la route s’aperçut du grand danger qui menaçait le groupe, il voulut les prévenir de la main, mais à son geste une rafale le coucha à terre, mortellement atteint.
Les F.F.I. courageusement se portèrent à ses côtés, battirent de leurs feux la mitrailleuse ennemie qui fit silence et fut abandonnée par ses servants. Un F.F.I. avait supprimé un nid de résistance allemande, le mieux placé et par conséquent le plus dangereux.
Aussitôt ce fait d’armes, les deux groupes se portèrent vers un détachement allemand à la sortie du village, vers Belloy. Le combat s’engagea et dura jusqu’à la nuit, c’est à dire jusqu’à l’anéantissement complet du détachement.
Les pertes de l’ennemi étaient à 22 heures de 8 tués dont un capitaine, 10 blessés dont 6 très grièvement et plus de 100 prisonniers.
Pour permettre aux Anglais de réparer le pont de Picquigny et de leur réserver une tête de pont à La Chaussée, toutes les issues furent gardées toute la nuit par des F.F.I. et des hommes du groupe du capitaine VERSELIPPE. Des patrouilles faisaient la liaison avec les postes. Deux Allemands qui avaient essayé de pénétrer dans le village furent pris par le poste de la route de Belloy.

 

Document Dany DHEILLY (Hérissart)

Les Anglais arrivent

Le 2 septembre, la pointe des Anglais se présenta dans la nuit du 1er au 2 septembre à 1 H 45. Toute la colonne traversa La Chaussée sans avoir à tirer un coup de fusil et prit la direction de Vignacourt où elle continua sa progression victorieuse vers le Nord.
Dans la matinée du 2, Maurice CHATTE, le capitaine VERSELIPPE, quelques F.F.I. et René LEGAS partirent pour Belloy où des Allemands avaient été signalés. Ils firent 13 prisonniers qui furent envoyés à Picquigny, ainsi que 5 blessés et un infirmier. Ces derniers furent enlevés par une ambulance anglaise.
Profitant de la camionnette de M. TOURNEUR de Flixecourt, René LEGAS, 2 prisonniers et 3 F.F.I., se dirigèrent sur Flixecourt afin de se rendre compte de la situation et faire la liaison (10 heures).
Entre le bois d’Yzeux et Flixecourt, ils furent accueillis par des rafales de mitraillettes.
Trois blindés anglais qui étaient sur la route firent demi-tour. Deux F.F.I. à pied poussèrent une pointe jusqu’aux ruines du moulin qui domine Flixecourt. Quelques rafales furent encore tirées sur eux. Néanmoins, ils firent la liaison avec un groupe de la résistance locale dans le village qui venait d’être libéré. Les 2 prisonniers furent laissés aux gendarmes.
De retour à La Chaussée, vers 11 heures, René LECAS fut conduit par un officier anglais de l’état major sur la route de Vignacourt et donna ses renseignements sur Flixecourt. L’ordre fut donné alors aux troupes anglaises de passer à Flixecourt.
Le 3 septembre, les groupes F.F.I. et F.T.P.F. continuèrent le nettoyage des bois des villages de Belloy, Yzeux et Vignacourt où ils firent encore quelques prisonniers.