LA
MISSION 1937 |
CARNET DE NOTES D'UN PAROISSIEN
Source : « Le rayon de Soleil » 1937
Annoncée depuis longtemps, préparée par la prière des âmes pieuses et surtout, des enfants, désirée par beaucoup de paroissiens, peut-être même par certains auxquels nous penserions le moins... la Mission était fixée du dimanche de la Passion au jour de Pâques, donc du 14 au 28 Mars 1937. Comme travaux d'approche et de « reconnaissance », les deux jours qui précédent l'ouverture, nous pouvons voir M. le Curé et le Missionnaire se présenter et faire une visite préparatoire dans toutes les maisons sans exception.
D'abord, je vous présente celui qui va être en même temps l'hôte paroissial, l'animateur d'une quinzaine qui comptera dans les annales de La Chaussée. Monsieur le Chanoine Lecat, missionnaire diocésain, n'est pas un inconnu dans la région; Belloy l'a eu pour une mission il y a une dizaine d'années, puis au cours de diverses cérémonies, et enfin, La Chaussée a eu le plaisir de l'entendre prêcher le lundi de la Fête 1936. Voilà pour la présentation... diocésaine, si je peux dire. Mais, lorsqu'il s'agit de la présentation particulière, oh! alors je commence à me sentir un peu inférieur à mon rôle, car, lorsqu'on voit un prêtre à l'aspect presque vénérable, mais ayant un caractère si jeune... lorsqu'on attend une série de sermons sérieux et graves et qu'on entend une prédication vivante et joyeuse..., mais le mieux était de l'entendre!
Donc, le dimanche 14 Mars, à 8 heures du soir, a lieu l'ouverture de la mission. Voici l'ordre de la cérémonie, le même chaque jour dans son ordonnance, tout en changeant dans sa forme : deux dizaines de chapelet à une intention expliquée par le prédicateur, un cantique populaire, puis la glose qui est l'explication d'une vérité religieuse avec quantité d'exemples moins que moroses à l'appui. Aussitôt la glose, cantique au Saint-Esprit, prédication sur les grandes vérités, court salut, avis divers, le tout terminé pour 9 heures 15 au plus tard. Amis lecteurs, je ne me propose pas de vous raconter toute la Mission. il y faudrait un volume... Je voudrais simplement vous la faire revivre un peu et en conserver le souvenir dans nos « annales » et dans nos mémoires.
L'ouverture, devant une centaine de personnes, faisait bien augurer de la suite. Malgré un temps de chien à la sortie, il pleuvait, ventait et faisait noir comme dans un four), les commentaires sympathiques allaient être une propagande qui dès les jours suivants, s'avéra fructueuse. Heureusement, l’éclairage des rues fut prolongé d'une demi-heure, que chacun put rentrer chez soi dans de meilleures conditions, et en évitant des collisions ou des chutes. Dés le mercredi commence la série des fêtes. Savez-vous ce que sont les fêtes de Mission... vous vous en doutez peut-être un peu , mais pas complètement , j'en suis sûr. D'abord, le missionnaire «mobilise » les ouvrières et ouvriers, nécessaires pour tous à ses travaux d'ornementation... et il en trouve. Il demande des bougies... on lui en apporte des quantités.I1 ose prier d'apporter des fleurs... même quand il neige ... on lui en trouve. Et. avec cela, il fait de petites merveilles, qui, jointes à une parole instructive et à des histoires des plus hilarantes, font remplir l'église d'une foule aussi bien figée dans l'attention que déchaînée dans un éclat de rire... Donc, le 17 Mars, Souvenir des Morts. Notre missionnaire a tenu à nous les associer durant la mission. Il n’a garde d'oublier le bon ouvrier de Dieu qui fit la précédente mission de La Chaussée, en 1921 : le chanoine Bazin, rappelé auprès du Père. Et, devant la tombe du soldat de la grande Guerre, érigée au milieu du chœur, fleurie de primevères et entourée de lierre, il évoque ceux qui nous ont précédés sur cette terre; il montre la façon intelligente de prier pour nos morts, et de ce fait la glose d'ordinaire si distrayante revêt un caractère grave. L'absoute et le De profundis sont chantés aussitôt après le sermon. L’assistance augmente... Ça gaze.D’une cérémonie grave nous passons à quelque chose de gracieux, quelque chose qui rappelle le Ciel rien qu'au regard, vous avez deviné?
Eh ! oui la petite sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus a quitté son autel pour trôner dans le chœur, au milieu d'un parterre de fleurs et de lumière, tandis qu'un fond bleu et blanc détache la statue et la rend quasi aérienne. Je vous ai parlé de mobilisation pour les préparatifs à l'Église, concernant la petite Sainte... Notre missionnaire a même mobilisé en maison particulière pour la fabrication de roses artificielles... Naturellement, la parole du prédicateur n'est pas inférieure à la décoration. M. le Chanoine s'en voudrait, aussi donne-t-il un sermon très goûté sur la petite Fleur de Lisieux.
Mais attention au gros morceau. Dès ce salut, parmi les avis de fin de réunion, il en est un qui fait battre les cœurs un peu plus fort: Monseigneur sera à la Mission, dimanche soir. C'est promis, et quand notre évêque promet: je serai à La Chaussée à 6 h. 15... gare aux retardataires ce soir là !
LES RAMEAUX. Profitant de la présence d'un « curé » - c'est le mot de M. Lecat - on fait une procession aux deux cimetières, à l'issue de la messe. J'allais oublier de vous dire que quatre vendeuses - des « as », vous savez - «liquident » des quantités d’œufs de Pâques au profit des oeuvres de Monseigneur. Ils en vendent tellement ce jour-là que M. le Curé, par la force de l'habitude sans doute, annonce la continuation de la vente le jour de Pâques, seulement, ce ne furent pas les acheteurs qui manquèrent... Je ferme cette parenthèse et me voici, vers 5 heures 30, à contempler les groupes qui s'acheminent vers l'Église; il en est de Belloy, Picquigny et même d'ailleurs... Bien sûr, El Coeuchy est représentée convenablement, cela va de soi. Toujours est-il que, lorsque M. Lecat, sur le coup de 6 heures, commence le chapelet, l'Église est comble. Alors, nous entendons une glose - à ce qu'il paraît faire un sermon est peine perdue lorsqu'on attend un Evêque- , nous entendons, dis-je, une glose sur l'éducation des enfants? Non, pour s'entendre dire ses quatre vérités, je crois qu'il suffisait d'être là et si, après cela, quelques-uns continuent leur petit jeu... Heureusement, l'arrivée de Monseigneur vint nous ramener aux choses très, très sérieuses...
C'était le tour de M. le Curé de prendre la parole - on ne l'a pas encore entendu de la Mission - pour présenter la paroisse à son Excellence. Brièvement, notre pasteur, chiffres en mains, résume l'état de la paroisse depuis son arrivée parmi nous. Monseigneur, assisté de notre cher doyen de Picquigny et du Missionnaire, suit très attentivement cet exposé et non moins succinctement, il donne ses consignes pour chaque mouvement d'activité. Puis il donne lui-même la bénédiction du Saint-Sacrement. Son Excellence, qui rentre du Congrès de Crécy, veut bien prolonger sa petite halte à La Chaussée, et c'est avec la meilleure grâce qu'elle préside un vin d'honneur, offert aux A. C., ainsi qu'aux hommes et jeunes gens présents au salut. La salle Leclerc, une fois de plus, nous reçoit en grand nombre et c'est fraternellement, en rappelant ce que ce même geste valait pendant la guerre, que l'ancien aumônier du 26ème lève son verre à ses anciens frères d'armes, à nos familles et au succès de la Mission.
Cette visite, trop courte à notre gré, allait être le sel qui donne la saveur, et la Mission ne pouvait qu'en bénéficier.
Primitivement, dans la pensée du missionnaire, le dimanche devait être le jour de la Sainte-Vierge. Cette fête est reportée au lundi, mais, pour la réaliser convenable-ment, il fallait beaucoup d'enfants avec une couronne... beaucoup de jeunes filles avec un voile blanc... C'était superbe ce « beaucoup », mais j'étais assez inquiet sur sa réalisation. Et voyez comme la Providence sait arranger les choses, jeunesse de La Chaussée et jeunes -filles de Picquigny réalisent ce vœu bien au-delà des espérances. Ce soir-là, le chœur est rempli de cette jeunesse qui, vers la fin du salut, va procéder à l'offrande des couronnes... Geste gracieux à première vue, mais combien plus important dans son symbole! Inutile de vous dire que notre église est presque aussi remplie que la veille, de plus en plus, on vient et les alentours emboîtent le pas. Notre prédicateur est « rayonnant » et, lorsqu'on le voit entrer dans sa stalle, transformée en ambon, avec un malin sourire qui se mue très vite en une parole bien placée... vraiment, avouons-le bien humblement, nous jouissons humainement et spirituellement de bons instants...Le 24 Mars, Mercredi Saint, l'Eucharistie a sa soirée. Comme M. le Chanoine m'avait confié que cette fête n'était pas de celles qui attirent la grande assistance, je me disais qu'il serait bien ennuyeux de faire grande illumination pour peu de monde - on devient plus ambitieux à mesure que la mission se déroule ... Eh! bien, expérience de missionnaire et appréhensions d'un homme de peu de foi sont balayées. . ..180 personnes sont là.
Dans cette réunion, une chose m'a surtout frappé: la glose. Contrairement à l'habitude, elle fut sérieuse, grave même: le Sacerdoce en eut les honneurs et M. Lecat égrena des chiffres, tantôt pour montrer la vitalité religieuse de paroisses du Nord et du Pas-de-Calais, qui comptent tant d'enfants à l'autel, tantôt aussi, hélas! pour découvrir la grande pitié des paroisses de notre diocèse?
Quand un prêtre dessert de quatre à huit paroisses, se rend-on compte du labeur et surtout de l'insuffisance? Et d'en conclure qu'il faut que de nos villages des vocations surgissent; quand on songe que le dernier prêtre, natif de La Chaussée, est décédé en 1870...
Chose qui n'était pas arrivée à La Chaussée depuis au moins 10 ans, nous avons tous les offices de la semaine sainte. Notre « curé » de passage célèbre messes et offices les jeudi, vendredi et samedi; toute la journée du jeudi, il y a adoration du Saint-Sacrement au reposoir. Ce même soir, la passion était retracée en chaire, simplement, mais d'une façon qui faisait revivre les scènes de Golgotha. ..
Nos amis des alentours sont restés chez eux ce jeudi, mais le vendredi ils nous renforcent en grand nombre... L'église est pleine et alors a lieu le dernier salut de la Mission.
Je puis affirmer que ce fut le clou. Dans le chœur est dressée une grande Croix, ornée de plus de deux cents bougies qui, au moment voulu, s'embrasèrent simultanément; en face de cette croix de feu, une croix humaine! Nos jeunes filles en voile blanc, revenues nombreuses, vont participer à la cérémonie du Pardon. La lumière est éteinte.. . seule la Croix brasille... Alors s'élève ce cantique émouvant: « Par vos souffrances, Dieu Rédempteur ». Que pouvait-on imaginer de plus beau que la Croix pour ce vendredi saint ? Cette croix vivante jetant ses implorations, face à la croix de lumière, n'est-ce pas le monde devant le calvaire d'où tombe l'Amour Divin !VOICI PAQUES. - Resurrexit, le Christ est ressuscité ! Combien d'âmes de bonne volonté ressuscitent-elles en cette communion pascale?... Beaucoup j'en suis sûr, car les communiants sont nombreux à cette messe, célébrée par le missionnaire et servie par deux cheminots. Combien d'âmes ont entendu l'appel pathétique lancé le vendredi-saint au cours d'une glose sur la confession? Ceci n'est pas du ressort d'un pauvre chroniqueur, mais ce que je sais, c'est que missionnaire et curé ont un de ces sourires ... qui en dit long sur leur joie. La grand'messe a une assistance comme elle en a rarement, assistance qui se montre généreuse à la quête de mission. Mais ce qui est attendu en-même temps que redouté, c'est le salut de clôture, 5 heures et demie. Eh! oui, - une expression de M. Lecat - il faut finir, mais attention, chers amis, cette fin n'est que le commencement d'une vie religieuse plus fervente pour certains, plus régulière pour d'autres, levain dans la pâte pour tous !
C'est le dernier sermon du missionnaire, sermon qui fut le couronnement de tous ceux prononcés; éloquemment, avec une foi entraînante, les dernières consignes sont don-nées : allons-nous les suivre?
Des degrés de l'autel, M. le Curé, que nous n'avons entendu qu'une fois depuis quinze jours, presque pas vu, - caché derrière l'harmonium - prend la parole. Il adresse son merci à M. Lecat et son allocution, bien qu'elle soit faite spirituellement, laisse percer la mélancolie de voir partir celui qui, si rapidement, a su conquérir l'amitié de la paroisse. Et comme il sait que M. le chanoine reviendra à La Chaussée avec le même plaisir que nous aurons de le revoir, il l'annonce déjà pour un triduum l’an prochain à pareille époque.
Les remerciements englobent ouvriers et ouvrières, qui ont aidé le missionnaire dans la préparation matérielle des cérémonies, les fidèles des paroisses voisines et puis ses paroissiens. Par exemple, M. le Curé entreprend de nous classer en trois catégories : 1° L'avant-garde, troupe de choc sur qui on petit compter ; 2° les auxiliaires, groupe principal qui épaule le premier, mais a besoin d'être émoustillé de temps en temps, puis il y a... les traînards ? Le souhait final vous vous en doutez, hein? une seule catégorie et qui soit la première. Nul doute que la Mission n'aide puissamment à réaliser ce vœu. Et c'est le moment de recevoir l'image souvenir : grand format pour les familles et petite image pour chacun. Inutile de dire qu'il n'en reste pas.
C'était fini... non pas encore... M. le Curé ne nous confiait-il pas que le missionnaire ne voulait pas s'en aller que le lendemain il célébrerait la messe à huit heures. ." Jusqu'à la fin M. le Chanoine n'a pas perdu son temps.
Un Paroissien.P. S. : Je remercie ce paroissien d'avoir écrit ces « notes spirituelles » sur la mission. Grâce à lui les habitués de la mission ont pu revivre des jours heureux et bienfaisants. Peut-être même tel ou tel, lisant ces lignes, s'est rappelé les bonnes dispositions, les sentiments élevés qu'il avait alors et qu'il a quelque peu oubliés.
Paul Dentin