LA  CHAUSSÉE - TIRANCOURT
SOUS  L’OCCUPATION  ALLEMANDE

Quelques anecdotes… de Jean LECLERC

« Sanctions et fusillades » :
À une certaine époque, lors de l’occupation allemande, il y avait deux maires : le Maire de l’autorité française et le Maire de l’autorité allemande, et je me souviens que ce dernier faisait publier par Monsieur MULOT, le garde-champêtre de l’époque, des avis, qui étaient toujours rédigés comme suit :
« J’ordonne que… » et se terminaient toujours par cette phrase : « Les ordres devront être exécutés sous peine de sanctions et fusillades ».
Les habitants l’avaient surnommé : « Sanctions et fusillades »

Les billards du café de la Place :
Mes parents tenaient le Café de la Place ; la salle de bal était occupée par une trentaine de soldats allemands, qui se chauffaient au moyen d’un poêle à bois. Pour alimenter celui ci, ils fendaient du bois sur le marbre des billards. Mon père excédé est allé trouver l’officier allemand, lui expliquant les faits. Celui-ci lui a répondu : « Je vais prendre des dispositions pour que mes hommes ne fendent plus de bois sur vos billards. » En effet, l’après midi, il est venu, a fait sortir les billards, puis a ordonné de les casser et de les brûler.
Il a alors appelé mon père, lui déclarant : « Vous voyez, j’ai tenu mes engagements. »

Le couvre feu :
À une certaine époque, de l’occupation allemande, que je ne saurais plus situer, il y avait des commencements d’incendies presque chaque jour, dont les Allemands étaient vraisemblablement à l’origine. Cela devait les amuser de voir intervenir les pompiers de La Chaussée-Tirancourt, avec les moyens dont ils disposaient, soit une pompe à bras, eux qui étaient pour l’époque les champions de la mécanisation. En représailles des ces incendies, attribués aux civils par l’autorité allemande, cette dernière a imposé un couvre feu à 16H, et ce en plein été, et de plus à l’heure allemande, ce qui faisait 14 H au soleil…
Je me souviens qu‘étant dans le jardin qui jouxtait la maison, avec mon père, peu avant 16 H, la patrouille allemande est passée et nous a ordonné de rentrer.
Le Journal d'Amiens relatait le 11 mars 1941 :
Document Dany DHEILLY

 

Adrien TAUPIN fabrique des sandalettes :

    Pendant l’occupation, bien des choses manquaient notamment les vêtements et les chaussures.

    Je me souviens qu’Adrien TAUPIN, qui tenait un café entre La Chaussée et Picquigny à l’enseigne du « Café des Tilleuls », fabriquait des sandalettes à semelle de bois et dessus en bâche, il remplaçait les semelles usées de nos chaussures par des semelles de bois cloutées avec des clous que l’on appelait des « Caboches ».

    Il y avait à l’époque dans chaque maison un pied de fer sur lequel on emboîtait la chaussure afin de remplacer les clous perdus, notamment en hiver lorsque nous allions glisser sur la mare gelée.

 
M. TAUPIN Adrien, en compagnie de son épouse Charlotte.
 

Les « asperges ROMMEL » :
A une époque que je ne saurais plus situer, 1943 ou début 1944, tous les hommes valides avaient été réquisitionnés pendant plusieurs semaines afin de faire des trous pour y planter des poteaux que les habitants appelaient « les asperges ROMMEL » .
En effet, ce maréchal allemand qui avait été vaincu par les Alliés en Afrique, avait été également l’un des instigateurs de l’attentat contre Hitler, redoutant l’arrivée de troupes libératrices par planeurs, avait fait planter tous ces poteaux pour en empêcher leurs atterrissages éventuels.

La mort de M. Henri de Francqueville :
Le pont du canal de Picquigny avait sauté on ne pouvait plus y aller dans le village. A l’ époque M. de FRANCQUEVILLE a fait tuer une vache par Arthur BONDOIS dit « ch’Piston » qui avait été garde chasse chez Hennessy à Allonville. M. ROBAY qui était boulanger et Jules DUPONTREUÉ (Colas) ont fait du pain dans un four où Bernard DABROWSKI a sa cuisine maintenant.
M. de FRANCQUEVILLE qui était venu au feu de la ferme RIFFLART, le matin a dit : « Jules à 5 heures on distribuera le pain. »
Mon père montait avec la brouette chercher du pain chez Bernard DABROWSKI ,descendait puis remontait.
Lors d’un voyage , il dit : « La résistance arrive, ils sont comme des gosses au milieu de la route, ils vont se faire tuer ». Mon père avait fait la guerre 14-18.
M. de FRANCQUEVILLE qui distribuait le pain dit « J’y monte » ; c’est là qu’il s’est fait tuer.
Mon père s’est senti responsable et disait que c’était de sa faute : s’il n’avait rien dit , M. de FRANCQUEVILLE ne serait pas monté.
connu la « triste retraite » en désordre de l’armée allemande, en vélo, à pieds, certains avaient des poussettes d’enfants dans laquelle ils transportaient leur paquetage.
Je me souviens également d’une Mercedes décapotable dans laquelle se trouvait debout un officier à la stature imposante qui haranguait ses soldats. Des allemands nous ont dit qu’il s’agissait du général Von RUSTED. Elle était loin la superbe armée des années 40…

La Libération :
J’ai connu la « triste retraite » en désordre de l’armée allemande, en vélo, à pieds, certains avaient des poussettes d’enfants dans laquelle ils transportaient leur paquetage.
Je me souviens également d’une Mercedes décapotable dans laquelle se trouvait debout un officier à la stature imposante qui haranguait ses soldats. Des allemands nous ont dit qu’il s’agissait du général Von RUSTED. Elle était loin la superbe armée des années 40…

Des hommes à la conduite exemplaire :
Je tiens à vous conter la conduite exemplaire de quelques habitants de La Chaussée-Tirancourt.
Dans la matinée du 1er septembre 1944, Hubert LEMAITRE.se rendant en plaine, avait aperçu un soldat allemand qui pour satisfaire un besoin naturel avait posé son fusil et sa cartouchière. Rampant, Hubert s’est emparé du fusil et des munitions, et le soir en compagnie de Georges DENEUX et de Daniel GUILBERT, ils ont capturé une trentaine de soldats allemands réfugiés chez ce dernier. Je les vois encore, traversant la Place, encadrant leurs prisonniers, ceux ci en bon ordre et marchant au pas.
Tous les spectateurs étaient médusés et admiratifs. Quel soulagement !

La kommandantur :
La kommandantur, siège de l’autorité allemande, se trouvait pendant une certaine époque route de Picquigny, actuelle rue Jean Catelas, dans la maison de Monsieur DEFONT, elle s’est située ensuite dans la belle propriété de Monsieur LEDUC, route de Belloy. Je vois encore ce drapeau à croix gammée qui flottait en haut d’un mât, situé dans la cour.

Il fallait bien survivre... :
Georges DENEUX, Marc LECUL en compagnie de René CHOQUET qui était un maître dans l’art de capturer perdreaux, lapins, lièvres et chevreuils au collet (lâche en fil de cuivre recuit) se livraient à leur besogne.
Un jour, René a été surpris par les allemands, en cours de furetage avec des bourses. Ils l’ont emmené à la kommandantur et a été sérieusement sermonné par l’officier allemand qui l’a contraint de jurer, devant un grand portrait d’Hitler, de ne plus recommencer, ce qu’il fit. Mais la semaine suivante, il recommençait, il fallait bien manger !
Les officiers allemands avaient un jour organisé une battue sur le territoire, tuant de nombreux lièvres. Hubert LEMAITRE venant prendre un verre au café, dit à mon père : « Jules, les Allemands ont chassé, il y a au moins une cinquantaine de lièvres alignés sur le trottoir de Monsieur et Madame CARON. Mon père est allé en reconnaissance, revenant, il dit à Hubert : « Je vais pénétrer dans la cour, prendre deux lièvres, je te les passerai et nous partagerons. » Fut dit, fut fait ! La grille étant fermée à clé, mon père est passé par l’autre porte, contournant la pelouse, il a franchi une autre porte, s’est emparé de deux lièvres qu’il a passés à Hubert, au travers de la grille, ce dernier s’enfuyant avec…
Les grandes caves de la maison de Messieurs VASSEUR et DEFONT étaient remplies de charbon réservé aux troupes d’occupation.
René CHOQUET, Marc LECUL, Georges DENEUX, Marcel FERTEL, mon père et mon frère Maurice profitant d’une période où il n’y avait pas d’allemands, allaient la nuit, remplir des sacs de charbon, qu’ils transportaient à dos. Un voyage chez chacun des comparses, et ce à plusieurs reprises. Le village n’était pas éclairé comme aujourd’hui, c’était l’obscurité totale.
Comme le charbon faisait défaut à l’époque, c’était la bonne affaire !

La colère de Monsieur DEFLANDRE :
Nous avons eu pendant de longs mois, en 1942, un détachement d’artillerie lourde stationné à La Chaussée. Les gros canons sur quatre roues, étaient remisés autour de l’église. Un jour ils ont voulu en remiser un sous la grand-porte de Monsieur DEFLANDRE (actuelle maison du Docteur CHARRIER).
Monsieur DEFLANDRE qui était un personnage tant par la stature que par son caractère bien déterminé, s’est emparé d’une masse, menaçant de briser l’engin, clamant haut et fort « pas d’engin de destruction sous ma grand-porte » et il a fallu l’intervention diplomatique de Monsieur et Madame CARON auprès des allemands pour que ceux-ci renoncent, sinon, je pense qu’Arsène aurait mis sa menace à exécution.

Le feldwebel aime bien le vin :
Il y avait parmi ces artilleurs, un Feldwebel (adjudant) qui avait sympathisé avec les clients du café, il aimait fort bien le vin rouge en consommant parfois jusqu’à l’ivresse.
Lorsque le soir, il faisait exécuter à ses hommes des manœuvres nocturnes de mise en batterie de ces pièces d’artillerie, il prévenait mon père lui demandant de mettre une bouteille de vin et un verre sur l’appui de fenêtre, de fermer les volets et de ne pas les condamner ; vociférant, il faisait tourner ses hommes face à l’église, figés dans un garde à vous immuable, il ouvrait les volets, buvait, refermait les volets, reprenant ses vociférations.
Lorsqu’il était seul, il faisait souvent des confessions, regrettant cette folie meurtrière de son pays, mais quand arrivait un autre allemand, il devenait muet, c’était courant chez eux : ils se méfiaient l’un de l’autre craignant une dénonciation.
Compte tenu de son faible pour le vin, Marcel FERTEL l’avait surnommé « Pied de vigne ».
Une nuit, ils sont partis précipitamment et nous avons appris que les Anglais avaient fait une tentative de débarquement à Dieppe.
Ils sont revenus ensuite et sont restés encore quelque temps.

La défense aérienne :
Je me souviens également de cette unité de chars stationnée à La Chaussée, les soldats à l’uniforme noir et dont les revers de veste étaient ornés de deux tibias croisés surmontés d’une tête de mort.
Nous avons connu également une unité de SS, triste souvenir.
Une unité de défense aérienne dont les batteries étaient installées où se trouve l’atelier des établissements FOURNY. Lorsqu’une vague d’avions était signalée, un Feldwebel parcourait à vélo les rues du village hurlant : « Flig Alarm » et les soldats prenant leur casque couraient vers les pièces de DCA. Quel vacarme et déflagrations lorsqu’ils ouvraient le feu !
J’ai voulu un jour payer ma curiosité et je me suis aventuré par la rue de la Carrière jusqu’à la maison de Monsieur SAIZY, mais là affolé par le bruit et surtout par les flammes qui sortaient des tubes canons, je me suis enfui à toutes jambes et lorsque je suis arrivé à la maison, atterré, je me suis fait copieusement gronder par mes parents. C’était le baptême du feu, si l’on peut dire !

Une fanfare allemande :
Pendant une certaine période, il y a eu une fanfare allemande. Ils répétaient à longueur de journée dans la salle de bal. Ils avaient avec eux des Ukrainiens (hommes et femmes) qu’ils faisaient danser ainsi que des hommes et des femmes de petite taille, danseurs également et les gens disaient : « Ch’est des Mongols ! »
Toutes ces personnes étaient des prisonniers civils capturés vraisemblablement pendant la campagne de Russie.