L'OPÉRATION  " JÉRICHO "

 
Bombardement de la prison d’Amiens le 18 février 1944
Résumé du livre de Monsieur Jean-Pierre DUCELLIER
Nous sommes le vendredi 18 février 1944, à 9 h00, à la base d'Hunsdon, quelque part au Nord de Londres. La neige recouvre le sol depuis plusieurs jours.
Cette base de la Royal Air Force britannique a vu arriver le 31 décembre 1943, les «Mosquito» VI des Squadrons 21, 464 et 487 du 140e Wing.
Ils sont là ce matin, sous la neige, immobiles...
Pourtant malgré cette neige, une certaine effervescence règne en ce début de journée sur la base qui est en état d’alerte.
Plein de carburant, armement des appareils, chargement des bombes, une sous chaque aile et deux dans la soute, contrôle des systèmes radar et radio, vérification des équipements de bord... Ces préparatifs annoncent l'imminence d'une opération.
Étonnants ces préparatifs, avec des conditions climatiques aussi défavorables! Ce ne serait cependant pas la première fois que les préparatifs d'une mission seraient annulés au dernier moment.
Les ordres écrits précisant la nature et l'objectif de la mission doivent encore arriver par téléscripteur pour que cette dernière soit confirmée.
Ces ordres précis, qui vont probablement bientôt tomber, seront expliqués aux hommes d'équipage lors du briefing donné par le Group Captain Pickard.
38 hommes, 19 équipages de deux hommes, chacun en fait, se trouvent en ce début de matinée du 18 février 1944, en état de «stand-by» , sur la base, en attente des ordres concernant cette mission à venir... si elle n'est pas annulée au dernier moment...
Les chutes de neige qui se sont abattues sur toute l'Angleterre ont fait reporter la plupart de ces opérations aériennes, qui à n'en pas douter se seraient succédées comme d'habitude, si le temps avait été plus clément.
Le 140° Wing est composé de trois squadrons de «Mosquito» VI : Squadron 487 de la Royal Néozélandaise Air Force (R.N.Z.A.F.) , Squadron 464 de la Royal Australian Air Force (R.A.A.F.) Squadron 21 de la Royal Air Force britannique (R.A.F.)
A 9 h 40 minutes, le Group Captain Pickard qui dirige l’escadrille lit le message qui vient de tomber :
Les «Mosquito» du 140° wing devront attaquer la prison d'Amiens pour tenter d'aider 120 prisonniers à s'évader. Ces prisonniers sont des patriotes français condamnés à mort pour avoir aidé les alliés. Cette attaque aérienne est seulement une partie du plan, car une autre forme d'assistance sera donnée sur place au moment voulu.
L'attaque est prévue pour ce 18 février 1944 à 12 h 00.
Le plan de route est également lu :
Les avions partiront de la base et se dirigeront vers Littlehampton, traverseront la Manche –arriveront sur le littoral Français : Tocqueville - Sénarpont - Bourdon - sud de Doullens - Bouzincourt - Albert puis ce sera l’objectif et ensuite le retour : virage à droite - Saint-Sauveur - Sénarpont - Tocqueville - Hastings et enfin la base.

Il est maintenant 10 h 50 à Hunsdon. Les deux premiers «Mosquito» VI du Squadron 487 roulent sur la piste, décalés l'un de l'autre d'environ une quinzaine de mètres.
Deux autres vont suivre et deux autres encore... Bientôt les roues des premiers avions quittent la piste tandis qu'à l'arrière les hélices de ceux qui suivent, tournant à plein régime, projettent au loin une quantité impressionnante de neige poudreuse.
A 10 h 53, ce sera au tour des bombardiers de la seconde vague de s'ébrouer sur la piste enneigée suivis de près par le «Mosquito» VI de la «Film Production Unit».
Puis 10 minutes plus tard, à 11 h 03 , la troisième vague formée des six «Mosquito» VI du Squadron 21 s'élancera à son tour sur la piste.
Le décollage est réussi. Après une rapide mise en formation à proximité de la base, les avions de la première vague se sont rapidement évanouis dans le ciel de neige , suivis de près par ceux de la seconde vague et une dizaine de minutes plus tard par ceux de la dernière vague. Direction : Littlehampton...où ils seront à 11 h 28
Ils survolent Tocqueville à 11 h 42 et Sénarpont à 11 h 47 ; direction Bourdon ; la campagne est couverte de neige, la visibilité est de 4 à 6 miles (6 à 10 km)
A 11 h 52, l’escadrille survole la vallée de la Somme. Devant les avions, le village d’HANGEST-sur-SOMME. Sur l’autre rive : BOURDON, puis un léger virage, cap vers DOULLENS cette fois.
A 11 h 53 : survol d’une grande route allant du Nord-Ouest vers le Sud-Est. Et sur cette route un convoi militaire allemand qui transporte des canons lourds, des véhicules militaires de transport, des tanks... Le convoi qui se trouve à ce moment entre FLIXECOURT et BELLOY-sur-SOMME se dirige vers AMIENS.
Les Six «Mosquito» VI du Squadron 487 volant à une Altitude de 50 pieds (15 mètres environ) viennent d’apercevoir ce convoi militaire allemand.
La tentation est trop grande, et le P/O D.R FOWLER ouvre le feu de ses 4 canons de 20 mm et de ses 4 mitrailleuses de 7,69mm vers le convoi, déchirant la tôle de l'un des véhicules qui brutalement s'embrase dans une gerbe de flammes...
L'attaque est terminée. Elle n'a duré qu'une fraction de seconde. Déjà le «Mosquito» VI, après avoir frôlé le convoi allemand, a redressé et repris quelques mètres d'altitude rejoignant rapidement la formation qui poursuit sa route vers DOULLENS.
Les avions filent maintenant entre CANDAS et BEAUVAL
A 11 h 56, à 15 mètres d'altitude à peine. Devant les six «Mosquito» VI du Squadron 487 , au milieu du vaste tapis blanc qui s'étend sous les avions, voici une petite vallée. Au sommet de son versant Nord-Est, une grande antenne pointe son mât vers le ciel.
Le sommet de cette dernière est bien plus haut que l'altitude à laquelle se trouvent en ce moment les avions. 50 mètres environ ! C'est «Le Bon Air» - lieu-dit situé juste au Sud de DOULLENS.
11 h 56 après avoir contourné l’antenne, les Mosquitos prennent la direction de Bouzincourt, puis Albert , où ils reçoivent quelques tirs de la Flak allemande.
Un dernier virage et c’est la direction d’Amiens : il n’y a plus qu’à suivre cette route rectiligne bordée d’arbres qui mène à l’objectif.
Dès 11 h 55 , les sirènes d’Amiens se déclenchent ; apparaît alors , au dessus des quartiers sud ouest, le Mosquito de la « film production unit » escorté de 2 typhoons de la première vague.
12 h 01 Franvillers Pont Noyelles
12 h 02 Querrieu, les bombardiers se trouvent à 8 km de la prison.
Les avions qui volaient relativement écartés les uns des autres se regroupent quasiment en file indienne légèrement décalés sur la droite.
En quelques secondes les avions sont au niveau du mur « est » de la prison.
Les premières bombes tombent. En quelques minutes, par vagues successives, les bombardiers vont lâcher des dizaines de bombes détruisant des murs, des bâtiments et semant la mort .
Lors de la première vague, une brèche a été ouverte dans le mur Sud, ce qui correspond d'une manière générale à l'objectif recherché.
Le bâtiment administratif où se trouvaient les gardiens allemands a été détruit totalement par deux bombes.
Nous savons cependant que le Group/Captain PICKARD lors du briefing avait signalé aux aviateurs que la garnison allemande se trouvait dans l'un des deux bâtiments annexes appuyés contre les pignons Est et Ouest du bâtiment principal, simplement dans le but d'encourager les pilotes à bombarder ces annexes .Le but réel consistait en fait à bombarder les extrémités du bâtiment principal afin de les ouvrir pour permettre aux prisonniers de s'échapper.
Les autorités britanniques malgré leurs affirmations ne possédaient alors pas de plan intérieur précis, de la prison d'AMIENS.
Par contre quelques jours après la Libération 8 septembre 1944, les autorités britanniques enverront un enquêteur sur place afin de s'informer. À partir de cette date, ces autorités sauront effectivement que l'aile détruite de plein fouet par une bombe, abritait les gardiens allemands.
Cette nouvelle connaissance leur permettra d'expliquer par la suite, l'histoire officielle, que la place occupée par les militaires allemands était connue de leurs services, sous entendu que ce bâtiment avait été volontairement la cible de leurs avions, ayant ainsi mis un coup au but.
En vérité, la localisation des Allemands n'était, lors du raid, absolument pas connue des Britanniques .
L’attaque des bombardiers de la seconde vague s’est déroulée de 12h06 à 12h07 .
à nouveau des bâtiments et des murs sont éventrés.
Une fois les bombardements terminés, c’est le retour en Angleterre
Amiens , Saint-Sauveur, puis virage en direction de Sénarpont , Tocqueville , Littlehampton l’Angleterre et enfin la base de Hundson au nord de Londres.
Au cours du retour, l’un des « Mosquito » touché par la Flak fera un atterrissage forcé à Villeroy. Le navigateur (F/lt SAMPSON) est tué le pilote(S/L Mac RITCHIE) est gravement blessé.
Quel est le bilan de cette opération ?
Au cours des vagues successives :
23 bombes de 500 livres sont tombées à l’intérieur du périmètre de la prison, sur les 23, 17 ont explosé dont 4 sur le bâtiment principal .
Plusieurs brèches ont été faites dans le mur Nord, mur Ouest et une sur le mur Sud.
17 sont tombées à l’extérieur dont une qui n’a pas explosé
Le bilan définitif des victimes sera impossible à préciser avec certitude on pense qu’il y eut une centaine de victimes ( dont 5 ou 6 militaires allemands) et autant de blessés sur les 700 détenus.
En dehors de la prison, on compte 46 maisons endommagées dont 3 détruites, essentiellement route d’Albert ainsi qu’ une aile de l’hospice Saint Victor.
258 prisonniers s'échappèrent dont 79 résistants et prisonniers politiques.
Peu avant le début de l’attaque de la prison, à 12 h 05, Le Mosquito du group captain PICKARD s’est écrasé à Saint Gratien à 9 km d’Amiens, abattu par le pilote allemand FW MAYER de la JG 26. Le bimoteur se brisant en deux au niveau de la queue.
Un an après, le 18 février 1945 une cérémonie sera organisée à Saint-Gratien en l’honneur du group captain PICKARD (28 ans) et de son copilote, John BROADLEY (23 ans), également décédé, en présence de nombreux officiels.
Les deux valeureux pilotes reposent au cimetière Saint Pierre d’Amiens.
Parmi les tués on trouve le Docteur BEAUMONT, résistant de Warloy Baillon, chez qui le Pilote Noël HELEAN avait trouvé refuge en décembre 1943.
Parmi les évadés : un résistant connu : M. VIVANT, sous préfet d’Abbeville, qui avait été emprisonné deux jours auparavant.
Manipulation et désinformation
Le bombardement de la prison d'Amiens est une histoire absolument fabuleuse.
Tout d'abord il faut savoir que jamais pendant la guerre cette opération ne se nomma « Opération Jéricho ». Cette opération aérienne s'étant effectuée sous la dénomination classique "Ramrod 564" même s'il elle fut nommée par l'observateur qui prit le film pendant le bombardement "Operation Renovate"... en tout cas jamais Jéricho.
Ce nom de Jericho n'est apparu qu'en 1946 avec le film d'Henri Calef qui sous l'impulsion et le contrôle des autorités britanniques, participait à cacher aux Français la véritable raison de ce raid qui fit une centaine de victimes civiles.
Jamais ce bombardement de la prison ne fut destiné à faire évader des résistants ni même un soi-disant officier des services spéciaux britanniques censé connaître un secret vital au sujet du débarquement.
Nous affirmons qu' il n'y avait en fait personne d'important à libérer dans cette prison. Par contre il suffisait aux Britanniques d'arriver à le faire croire et cela en faisant des brèches dans les murs.
Ce fut une réussite totale au niveau de l'objectif espéré (si l'on ne prend, bien sûr, pas en compte la centaine de victimes.)
En effet le bombardement de la Prison d'Amiens était en fait l'outil principal et initial d'une gigantesque intoxication destinée à manipuler les services secrets allemands, commencée le 4 janvier 1944 sous le nom de plan Mespot.
Churchill fit changer le nom de ce plan le 19 février 1944 pour lui donner quelques jours plus tard le nom de Fortitude. En fait les deux plans sont exactement les mêmes, ligne pour ligne mais Churchill ne pouvait pas se permettre de prendre le risque que le bombardement de cette Prison soit relié au nom de ce plan.
Le bombardement de la Prison d'Amiens était la phase initiale de ce plan Mespot permettant de crédibiliser "la politique dite d'ajournement"de Churchill qui fit croire par tous les moyens à cette époque que le débarquement était imminent avant de, brutalement, dès le 19 février 1944, déclarer officiellement que ce débarquement était repoussé de plusieurs mois... bien sûr toujours dans le but de le faire croire aux Allemands.
Sur un second plan la localisation de la Prison d'Amiens entrait très bien dans le cadre de faire croire que le débarquement ne se déroulerait pas très loin de cette ville... sur les côtes de la Somme et du Pas-de-Calais... Formant un tout, de nombreuses petites manipulations eurent également lieu.... Rumeurs distillées avant le 18 février informant que la prison allait être bombardée... de façon à ce que les Allemands puissent se rendre compte que les sources qui fournissaient ces informations avant ce 18-2-44 étaient très bien renseignées d'où la possibilité ultérieure de faire passer par les Britanniques de nombreuses autres désinformations choisies à l'avance.
En fait, ce bombardement de la Prison d'Amiens comprend deux grandes manipulations :
- La première, la principale, dirigée contre les Allemands dont nous venons de parler, entrant dans le cadre de Fortitude.
-La seconde manipulation, après la libération, dirigée contre les Français, dans le but de leur cacher à tout prix la véritable raison de ce raid car bombarder une prison civile avec plus de 100 victimes uniquement dans le but de manipuler l'ennemi, pourrait être assimilé à un crime de guerre.
Cette seconde manipulation se déroulera pendant 60 ans, formée comme la première de nombreuses petites manipulations ...film Jéricho, remerciements et hommages aux résistants chaque 18 février, propositions d'aide aux familles des victimes, et la plus spectaculaire pendant les événements de Suez (1956) : l'invitation d'un appelé du contingent français (J-C Beloeil) sur l'île de Chypre par l'officier britannique commandant (paraît-il) la sécurité de cette île (unijambiste selon ses déclarations), dans sa villa, pour lui expliquer « qu'il se trouvait ce 18 février 1944 dans cette Prison d'Amiens et que c'était à cause de lui que cette prison avait été bombardée parce qu'il détenait un secret majeur ».
En fait, il est évident que cette intervention n'était destinée qu'à essayer de faire diffuser cette version à la population picarde. - Version totalement fausse car cet officier unijambiste, soi-disant en prison le 18 février, avait obligatoirement été blessé et amputé en 1943 donc avant le début du plan Mespot et ne pouvait donc pas connaître de secret majeur. Signalons en plus que les militaires n'étaient jamais placés dans les prisons civiles et ces agents spéciaux avaient un travail très précis et ne connaissaient jamais de secret majeur, tous ces services étant toujours très cloisonnés comme chacun sait.
En réalité dès 1955/1956, la version donnée par les Britanniques comme quoi la RAF était venue délivrer des résistants condamnés à mort commençait à ne plus être crédible... et c'est à cette époque que la notion qu'il fallait à tout prix délivrer un agent secret fut mise sur les rails par les Britanniques.
Chaque année une cérémonie a lieu devant la prison où est érigée une petite plaque blanche où l’on peut lire : « Aux patriotes Français tués le 18 février 1944 dans cette prison, où les barbares nazis les martyrisaient. »
Pour en savoir plus :
Les secrets du bombardement de la prison d’Amiens. 18 février 1944
Jean-Pierre DUCELLIER « La guerre aérienne » dans le Nord de la France.
Tél. : 03 22 32 67 11
Paillart Editeur. Abbeville