CHAPITRE
III Finances et police municipales |
Les questions qui attirent principalement l'attention de l'assemblée municipale et de ses électeurs sont très nettement les questions d'impôts et de finances.
Aussitôt après les premières élections municipales, le jour même de la prestation du serment par le conseil général de la Commune, l'assemblée, en sa toute première réunion, délibère, et avec quelle vigueur, sur l'impôt de la gabelle. « On sait assez, a écrit Louis Madelin, (dans La Révolution, page 8) de quel poids pèse le monopole du sel, cette gabelle contre laquelle, plus encore que contre la taille, va se faire la Révolution de 1789 ».
En effet l'une des décisions les plus catégoriques prises, à l'unanimité, par le conseil général de la commune concerne cette gabelle. Les deux «collecteurs de sel de cette paroisse : Pierre Damnez pour la communauté de La Chaussée et François Barbier pour celle de Tirancourt, préviennent le conseil général de la commune que « Messieurs les Officiers du grenier an sel d'Amiens les avoient sommés de venir lever le quartier d'approvisionnement, comme par le passé, sans avoir égard aux articles 4, 5, 6 et 7 du Décret de l'Assemblée Nationale du 23 septembre 1789 qui suppriment le sel d'impôt à commencer du 1er janvier 1790 et permettent aux particuliers de s'approvisionner du sel nécessaire pour leur consommation dans tels greniers et magasins qu'il leur plaira et même chez les regrattiers (Vendeurs au détail et de seconde main). Nous, officiers municipaux formant le Conseil Général de La Chaussée et Tirancourt, assemblés à cet effet, avons arrêté unanimement d'appeler les dits collecteurs sus-nommés pour leur dire qu'ils aient à ne point se présenter au grenier à sel d'Amiens, et, du défaut par eux de se conformer à notre arrêté, les avons prévenus que le sel qu'ils pourroient lever par la suite à compter du jourd'huy resteroit à leur compte ; leur avons donné copie du présent arrêté dont l'original a été consigné dans notre registre de délibérations pour faire valoir par eux en tems et lieux, les avons par cet arrêté déchargés de toutes contraintes et poursuites ordonnées contre eux par Messieurs les Officiers du grenier au sel d'Amiens,'nous réservant au surplus d'en demander justice à l'assemblée nationale, si les dits officiers du grenier à sel persistent à contrevenir aux décrets du 23 septembre 1789».
Au moins, nos officiers municipaux se montrent des hommes de décision quand il s'agit de s'insurger contre les anciens impôts si détestés.Quatre jours plus tard, la municipalité reçoit des précisions au sujet des remises accordées sur la taille et autres «imposition de 1789 » aux habitants taillables qui ont essuyé des pertes par des grêlés, gelées, orages, mortalité de bestiaux, incendies, etc... Dès le lendemain elle fait annoncer cette bonne nouvelle aux contribuables intéressés. Le dimanche suivant, la municipalité, les adjoints (mais de quels adjoints s'agit-il ?) et les membres taillables se réunissent pour que le collecteur, Jean-Baptiste Ravin, émarge sur un rôle, en présence de tous, la remise accordée.
En juillet 1792, la municipalité s'occupe de la suppression des droits de champarts et fait faire par deux de ses membres les significations requises. «Les sieurs et dame Thuillier demeurant actuellement à Tirancourt, paroisse dudit La Chaussée, comme se disant propriétaires de quelque partie desdits champarts, François Hulot, laboureur à La Chaussée et fermier d'une partie de champart, Jean-Baptiste Horville, laboureur à Tirancourt, fermier, lui aussi, d'une partie de champart, sont avertis «de ne s'aviser davantage de prélever ou « faire prélever aucune botte de grain dans les terres ensemencées qui appartiennent à ceux qui sont dé nommés cy dessous ». Ces dénommés, c'est-à-dire une quinzaine de signataires, se chargent de payer «les frais pour les significations... au prorata des biens dont ils ont la jouissance en propriété ». Cette délibération concernant les droits de champart est aussi nette que la délibération sur la gabelle et montre que l'assemblée municipale de La Chaussée voit avant tout dans la « Révolution » une suppression d'impôts odieux et de droits seigneuriaux.
Les premiers comptes municipaux datent de mai 1790. Le Maire, M. Thuillier de Monrefuge, remet à l'assemblée le compte-rendu «des ouvrages qu'il a fait faire : «une mare près de l'église, le chemin vicinal de La Chaussée à Tirancourt et la réparation de la grande rue ». A ces dépenses deux autres s'ajoutent : 27 Livres 4 sols ont été payées « à M. Falize, procureur en l'élection pour frais faits par le procureur du Roi audit siège contre la Communauté pour les rôles de taille de l'exercice 1789», enfin 3 Livres 6 sols ont été payés «pour plusieurs ports de lettres, paquets ou décrets apportés par la maréchaussée ». Au total, le maire a dépensé pour la communauté 587 Livres, 19 sols, 6 deniers. L'assemblée provinciale lui a remis sur les fends libres de la province 150 Livres pour le chemin vicinal ; Jean-Baptiste Mercier lui a remis 70 Livres qu'il devait à la communauté; les 367 Livres 19 sols 6 deniers restants lui ont été payés par Joseph Duvivier, le receveur de la communauté.
Le 20 juin 1790, pendant que le Roi se préparait au , départ, le Conseil Général de la Commune s'occupe du tourbage. Il est surprenant de ne trouver dans ce registre de La Chaussée qu'une seule délibération sur le tourbage, alors que la tourbe était extraite du territoire même de la commune et avait une grande importance pour les habitants. Les registres du XIXème siècle, au contraire, contiennent souvent des renseignements sur le tourbage. Heureusement, cette délibération est assez complète, elle porte « sur la quantité de terrain qu'il convient de marquer ainsi que sur le tems où il est à propos d'extraire la tourbe pour l'avantage de « la communauté». Le Conseil Général de la Commune décide : 1° Que l'emplacement seroit continu au tourbage de l'année dernière ; 2° que la totalité du terrain seroit de 80 verges ainsi qu'il étoy accordé ci-devant par l'intendant de la Province ; 3° que ledit tirage « auroit lieu la veille de la Saint-Pierre ; 4° qu'il seroit perçu 10 sols par ménage par le receveur de la commune à l'effet de payer les dépenses d'arpentage d'un parquement et de curement de fossé qu'il a fallu faire pour l'écoulement des eaux et le pâturage des bestiaux ; que le dit receveur rendroit compte du surplus des deniers, si le cas écheoit, à la municipalité pour être employé à des objets d'utilité publique ; 5° La municipalité fait défenses à toutes personnes, sous peines d'être poursuivies juridiquement, d'outrepasser les limites qui leur sont fixées par l'arpentage, ni de rentrer en dessous en tourbant le dernier fossé ».
A la date du 8 mai 1791, c'est-à-dire un an après le compte-rendu financier de M. Thuillier de Monrefuge, le receveur de la communauté, qui est alors Joseph Duvivier, remet et fait vérifier par le Conseil général de la commune les comptes financiers de la communauté. Ce receveur « est en avance de la somme de 40 Livres, 8 sols, 9 deniers, dont la communauté lui est redevable ; il appert également par ledit compte qu'il reste dû à la communauté par les fermiers, jusqu'à ce jour, la somme de 443 Livres pour les dépouilles de 1786, 1787, 1789, 1790. Ledit sieur Duvivier avant annoncé en même temps que des motifs personnels ne lui permettoient pas de continuer plus longtemps la recette, il a été arrêté de procéder sur le champ à la nomination d'un trésorier par voye de scrutin. Le sieur Martin Deflandre fils, ayant réuni la majorité absolue des suffrages, a été proclamé receveur. En conséquence, le sieur Charles Deflandre, secrétaire, greffier, a été chargé par l'assemblée de lui porter l'acte de sa nomination ». Mais cette fonction de receveur de la communauté ne doit pas être alors très désirable si l'on en juge par la nécessité d'avancer de l'argent à la communauté et par le retard que certains fermiers apportent au paiement de leurs dettes. Aussi Martin Deflandre n'accueille avec empressement ni cette nomination, ni ceux qui la lui transmettent. Peut-être espère-t-on la lui faire accepter peu à péu ? Peut-être ne sait-on qui nommer à sa place ? Le fait est que La Chaussée reste sans trésorier jusqu'au 22 janvier 1792. C'est seulement à cette date que le Conseil général de la commune nomme un trésorier par voie de scrutin. « Le sieur Agatange Barbier, ayant réuni la majorité absolue des suffrages, a esté proclamé~ receveur en lieu et place de Martin Deflandre fils qui n'a pas accepté sa nomination en date du huit may dernier ».
Cet Agatange Barbier, qui est à l'époque le secrétaire greffier, aura un an plus tard des difficultés, précisément, parce qu'on l'accuse d'avoir mal réparti la contribution mobilière dé 1791 sur les différents contribuables de la commune. Cette répartition des impôts devait en effet provoquer nombre de réclamations, surtout par suite des modifications nécessitées par les nouvelles lois. Le secrétaire greffier proteste de son innocence et, sur sa « réquisition », le Conseil Général de la commune s'assemble « à l'effet de vérifier s'il y a lieu à la destitution dudit secrétaire greffier ». Après lecture faite tant de la Loy que de la matrice du rôle de la contribution foncière et mobilière, «avons trouvé la répartition faite selon le veu de laditte Loy ». Agatange Barbier accepte donc de conserver ses fonctions, heureusement pour le Conseil Général de la commune qui eût peut-être difficilement trouvé, une troisième fois, un secrétaire greffier.
Le 29 mai 1792, Pierre-Louis Thuillier, receveur de la communauté de Tïrancourt, remet à son tour et fait vérifier les comptes de Tirancourt. Les deux parties de la commune ont donc chacune leur receveur, ce qui s'explique par le travail et les ennuis de cette charge et par l'importance de l'agglomération de Tirancourt à cette époque. Cette communauté de Tirancourt n'est pas plus pressée de payer que celle de La Chaussée. Le receveur est dans la même situation que son collègue puisque « Laditte Communauté de Tirancourt redoit « audit Thuillier, receveur, la somme de 22 Livres 1 sol neuf deniers ».A partir de 1791, le registre des délibérations relate, presque chaque année, la nomination au rabais d'un receveur des impositions foncières et mobilières, et l'adjudication définitive de la recette. Les citoyens qui désirent cette fonction, rémunérée à tant par livre perçue pour la commune, font une mise à prix. Celui qui demande la plus faible rémunération par livre perçue d'après le montant des rôles est accepté. La municipalité exige généralement que le receveur pour l'année présente comme caution un autre citoyen de la commune. Voici maintenant, à la suite pour faciliter les comparaisons, les différentes adjudications qui sont rapportées dans le registre des délibérations.
L'adjudication de décembre 1791 exige deux séances avec six mises à prix. François Brunet commence par demander 12 deniers à la Livre ; Jean-Baptiste Brunet n'en demande que 10 ; Pierre Cauchy 9, Jean-Baptiste Brunet 6 ; Agatange Barbier 4 ; Jean-Baptiste Brunet 3. « Personne n'a voulu faire la condition meilleure pour la communauté, on lui a adjugé ».
L'adjudication de décembre 1792 exige trois séances avec de nombreuses mises à prix. Pierre Hulot commence par demander 12 deniers à la livre, . Pierre Behen 11, Pierre Hulot 10, Pierre Behen 9, Thomas Moy 8, Fuscien Flandre 6, Pierre Behen 5, Jean-Baptiste Brunet 4, mais « ayant refusé d'obéir à la Loy, article 1er , titre 5, pour la perception de la contribution foncière, de donner un bon et solvable caution, nous avons esté obligé de procéder à une nouvelle adjudication». Aussi, une troisième réunion a lieu l'après-midi à l'issue des vêpres. Thomas Moy demande 5 deniers, personne n'a voulu le faire à meilleur marché». La perception lui est donc adjugée.
L'adjudication de nivose an II (décembre 1799) se fait en une seule séance, «après avoir esté publié le decady à l'avance, et personne ne s'y estant trouvé ladite adjudication (est) remise au decady suivant ». Jean-Baptiste Cauchy met à prix à 12 deniers, Agatange Barbier à 11, Thomas Moy à 8, François Guillerand à 7, Thomas Moy à 6. La perception lui est adjugée à 6 deniers pour l'imposition foncière et 3 pour la contribution mobilière ».
La dernière adjudication est datée de nivose an IV, il manque donc celle de l'an III. La convocation est faite « huit jours à l'avance » et il n'est plus question de « decady ». François Barbier commence la mise à prix à 12 deniers, Jean-Baptiste Brunet baisse à 6 deniers, François Barbier à 5, Jean-Baptiste Brunet à 4. «Personne n'avant voulue faire la condition à « meilleure marchez, et après deux heures de criers, « nous luy avons définitivement adjugez ». Cette fois, il n'est plus question d'une caution.La loi du 21 pluviose an II (février 1794) exigeait la nomination de deux commissaires distributeurs et celle du 13 prairial an II (mai 1794) la nomination de deux commissaires vérificateurs. Le Conseil Général de La Chaussée s'exécute seulement le 10 brumaire an III (novembre 1794) et nomme les citoyens Antoine Barbier et Louis Pauchet commissaires vérificateurs, les citoyens Félix Guillerand et Fuscien Flandre commissaires distributeurs. «Copie de la délibération leur a « été individuellement donnée afin qu'ils n'en ignorent», et il n'est plus question de refuser, a attendu que, précise le procès-verbal de la délibération, l'article onze « du titre sept de la loy du 21 pluviôse est ainsy conçu : « Le commissaire distributeur nommé et choisy ainsy qu'il est dit cy-dessus quy refuseroit de remplire «l'Honorable Employ quy luy est destiné sera déclaré « suspect et mauvais citoyen ». Même à La Chaussée, chacun sait maintenant ce qu'une telle « déclaration » peut entraîner, en cette troisième année de la liberté républicaine.
Le 5 prairial an III (24 mai 1795), c'est-à-dire sept mois plus tard, Pierre-Charles Hulot et Philippe-François-Ambroise Brunet, « commissaires », nommés par la municipalité en exécution de l'arrêté du directoire du district d'Amiens en date du 30 floréal, « sont allés» sur les dix heures du matin »... chez le percepteur des contributions foncières à l'effet de constater l'état de sa caisse. Ils y ont trouvé « au total la somme de 1.430 Livres en assignats portant emprunts de royauté A savoir un assignat de 100 livres, deux de 80 livres, a deux de 60 livres, onze de 50 livres, seize de 25 livres, « vingt de 5 livres. Sommant à cet effet ledit percepteur, « à compter de ce moment, de ne recevoir à l'avenir « aucun assignat au dessus de 5 livres, conformément « à la loy du 27 floréal dernier ». Telle est, d'après le registre de la municipalité, la dernière délibération concernant les finances.
La police municipale de La Chaussée s'appuie sur quatre règlements élaborés par la municipalité et consignés dans son registre de délibérations.
La crainte des incendies semble hanter le conseil général de La Chaussée. Si l'on juge d'après différents registres, il dût éclater plusieurs incendies à La Chaussée et dans des paroisses environnantes. Aussi la municipalité édicte, dès le 22 mars 1790, ce règlement très minutieux, et même excessif, suivi d'une invitation à dénoncer les contrevenants et de l'indication des amendes prévues :« Sur les plaintes qui nous ont été portées que beaucoup de personnes dans la paroisse travailloient le chanvre dans des endroits où il y a du feu et que cette imprudence étoit dans le cas de faire naître des accidens qu'il étoit facile de prévenir en y apportant plus de précaution. Considérant qu'on ne sauroit prendre trop de soins pour écarter les causes qui peuvent provoquer les incendies qui n'ont été malheureusement que trop fréquens dans cette paroisse par la négligence de particuliers, avons fait les défenses qui en suivent :
« 1° De faire sécher le chanvre à côté d'un foyer ni même de le briser dans les maisons et autres endroits où ilyadufeu;
« 2° De porter du feu dans un vase quelconque, dans aucun bâtiment, soit chambre, grange, étable, etc... pour y travailler le chanvré ;
« 3° De faire essuyer le fil pour toile dans un lieu qui ne soit pas couvert d'un plancher plafonné ;
« 4° D'exposer les cendres de tourbe en aucun lieu qui ne soit creusé en terre, ou entourré de mur en pierre, ou au moins suffisamment pailloté pour qu'il n'y ait point à craindre de communication de feu ;
« 5° D'allumer les fours pour la cuisson du pain après le coucher du soleil ;
« 6° De tirer à poudre dans les rues ou cours aux baptêmes, mariages et autres réjouissances ;
« 7° De laver les herbes, jetter aucune ordure ou cailloux dans la marre près l'église ;
« 8° De cueillir les navettes ou autres plantes utiles en allant à l'herbe dans les champs
« 9° D'arracher les affiches ou placards qu'on attache à la porte de l'Église ;
« 10° De sortir dans les rues avec une pipe allumée si elle n'a un couvert ;
« 11° Il est ordonné de tenir les fours et cheminées en bon état.
« Dans tous les cas susmentionnés, les pères et mères seront responsables pour leurs enfants.
« Lorsque quelqu'un s'appercevra qu'un particulier contreviendra à chacun des articles énoncés cy dessus, il pourra le dénoncer à l'officier municipal le plus voisin du lieu où se commettra le délit, qui sera tenu de s'y transporter sur le champ pour le constater. Le nom du dénonciateur sera tenu secret, et seront les délinquans dans tous les cas susmentionnés condamnés à trois livres d'amende pour la première fois ; à douze livres pour la seconde et punis exemplairement à la troisième fois. Les dites amendes applicables au profit des pauvres.« Et sera notre présente ordonnance lue, publiée et affichée à la porte de l'Eglise à issue de messe paroissiale au son de la cloche afin que personne n'en ignore ».
Ce fût peut-être par application de ce règlement que fût condamné François Mathon. Ce cabaretier fût en effet surpris le 5 juillet 1793 par le maire, des officiers municipaux et le procureur de la commune qui firent irruption chez lui «sur les onze heures de la nuit ». La municipalité voulait « vérifier s'il estoit vray que ledit Mathon fit chauffer son four comme il nous l'avoit esté rapporté. Ce que nous avons trouvé et vray et véritable ». Mathon fût donc condamné à une amende de 9 livres au profit de la commune, en vertu de l'article 9, titre 2, de la police rurale ». S'agit-il d'un règlement général de police rurale, ou bien serait-il fait allusion au règlement ci-dessus contre les incendies, articles 2 ou 5. En tous cas, la municipalité de La Chaussée ne craignait pas les incursions nocturnes pour faire observer un règlement de police.
La municipalité s'est aussi préoccupé de remédier aux incendies en se chargeant de «quêtes générales pour les incendies ». Le registre mentionne deux de ces quêtes avec quelque détail. La première a eu lieu en octobre 1791, 165 personnes ont été quêtées à La Chaussée et 24 à Tirancourt: Au total, 54 Livres ont été recueillies, dont 31 livres 17 deniers à La Chaussée et 22 livres 3 deniers à Tirancourt. Mais il faut noter que M-e Thuillier a donné 12 livres. Avec elle, M. le Curé Daire est le seul donateur en argent, il « a fait don d'un mandat de 10 sols». Les autres dons sont faits en nature. Les 54 livres recueillies ont été remises, le 31 décembre seulement, par le maire Jacques Barbier au receveur M. Demauve à Amiens.
En décembre 1792, une seconde quête pour les incendies est faite par la municipalité: 72 livres 7 sols 3 deniers ont été remis entre les mains du maire JeanBaptiste Fouache, il y a donc une intéressante augmentation. Le curé a donné 15 sols au lieu de 10, le magister, Charles Deflandre, a aussi donné 15 sols, on note encore 10 sols, 3 sols, 5 liards, mais presque tous les dons sont faits en nature : bottes de blé, de foin ou d'avoine, « feurre (paille) d'avoine, de pamelle ou de chanvre, une gerbée, une lentille, un lentillard, une botte Bouquet, etc... ».
La seconde délibération concernant la police municipale est plus originale encore que le règlement essayant de prévenir les incendies, c'est une défense de tirer aux fêtes de Pâques de 1790. Cette défense est très suggestive de l'état d'esprit de la municipalité, en particuliers les considérants sont intéressants à noter, certains sont d'ordre économique et social ; cherté des comestibles, manque de travail, inactivité du commerce ; d'autres sont d'ordre moral et religieux : injustices et querelles au cours des jeux, violation de la sainteté du dimanche, dissipation, désordre et ivresse. On se rappelle tout naturellement la parole de l'Ecclésiaste : « Rien de nouveau sous le soleil ».
Voici le procès-verbal de cette délibération en date du 25 mars 1790 :
« Le bruit s'étant répendu que des personnes de cette paroisse se proposoient de faire tirer un But aux prochaines fêtes de Pâques.
« La municipalité, persuadée qu'il est de son devoir d'assurer par une police active et vigilante le bon ordre et le repos publics, convaincue qu'elle ne peut sans manquer au serment qu'elle a prêté devant la Commune, tolérer aucun Etablissement qui, préjudiciable aux bonnes moeurs troubleroit la tranquillité générale, s'est assemblée pour délibérer à l'effet de prévenir toute entreprise qui pourroit donner lieu à des plaintes. « Considérant que la cherté des comestibles et surtout du blé, le manque de travail, l'inactivité du commerce, la rareté du numéraire et le bas prix des marchandises ayant prolongé et aggravé la misère qui depuis si longtemps désole le royaume, ce seroit porter scandale aux vrais citoyens que de permettre des Divertissements publics : que les accidens, si fréquents en ces sortes de jeux, en ont proscrit l'exercice dans une infinité de paroisse ; que les abus et les injustices qui s'y commettent, élèvent entre les concurrens des débats et des querelles qui ont quelquefois des suites funestes ; Considérant en outre que les jours de Dimanche et de fêtes étant consacrés au Culte divin, c'est en violer la sainteté que de se livrer pendant ces jours à des plaisirs bruyans et les profaner par la dissipation, le tumulte, la licence, le désordre et l'ivresse inséparables de toutes fêtes qui attirent un concours prodigieux de monde des Endroits voisins. La municipalité, après avoir mûrement délibéré sur les conséquences d'un pareil Etablissement, déclare ne pouvoir l'autoriser, fait défense à toutes personnes de faire tirer aucun But ou prix dans l'étendue de la paroisse ; rend responsable des Evénements qui pourroient en résulter celles qui contreviendront à la présente ordonnance et condamne les Délinquants à six Livres d'amende pour la première fois et à 24 en cas de récidive ».Claude Hublé, cabaretier à La Chaussée, ne dût pas se réjouir d'une telle défense ; il ne sût pas ou ne voulût pas s'opposer aux désirs de ses clients. Deux d'entre eux, Merelle et Cauchy, tirèrent donc au But dans sa cour. Mais la municipalité l'apprit et, dans son assemblée du 28 mars, elle condamna chacun des deux à 3 livres d'amende, contrevenant d'ailleurs à son propre réglement qui prévoyait la somme, très élevée, de «six livres pour la première fois ».
La Chaussée et Tirancourt étaient alors habitées par une majorité de cultivateurs, aussi la municipalité se devait de «veiller au grain » ; elle a donc un garde messier, et ce garde est doté d'un réglement copieux et précis que le registre reproduit deux fois en entier. La première copie de ce réglement est en date du 16 mai 1790. Quand la municipalité choisit « le nommé Drouart, de Belloy » pour remplir les fonctions de garde, elle édicte, pour lui « les instructions suivantes qui lui ont été remises par écrit » :
1° - De ne faire autre métier que de veiller en tout tems jour et nuit à la conservation des propriétés.
2° - D'empécher dès aujourd'huy d'aller à l'herbe dans les navettes, seigles, blés et de couper les trèfles et sainfoins, même de les traverser.
3° - De ne laisser faire aucun sentier dans les pièces ensemencées.
4° - D'empêcher de passer par la voyette mayo avec des chevaux et mulets.
5° - De prendre gaede que les laboureurs ne passent avec leurs charrues, herses,-dans les pièces ensemencées et de retourner sur les grains en labourant.
6° - De veiller à ce que les faucheurs ne rapportent aucune botte en revenant de leur travail.
7° - De ne laisser aller glaner avant le soleil levé, ni après le soleil couché, de ne. point laisser glaner dans une pièce si elle n'est pas liée, le propriétaire sera lui-même à l'amende s'il laisse glaner.
8° - D'empêcher les Enfans des deux sexes de glaner après l'âge de quinze ans, ni avant soixante pour les grandes personnes, si ce n'est qu'elles aient quelqu'infinmité qui les empèche de travailler ou une permission du maire par écrit ou en son absence du premier officier municipal.
9° - De ne peint laisser couper les cbaumes sans une permission par écrit du propriétaire.
10° - D'empêcher de faire du foin dans les bassures des communautés de La Chaussée et Tirancourt à peine d'une amende de 3 livres au profit des pauvres ainsi que la saisie du foin.
11° - D'empêcher de mener paître les bestiaux le long des rideaux même en les tenant par la lesse si ce n'est dans le cas de malade, en demandant toutefois permission à un officier municipal le plus voisin, il ne sera de même permis de les mettre dans les sainfoins qu'après la miseptembre.
12° - De ne point laisser les blattiers ou autres personnes passer sur le terroir avec leurs bestiaux sans qu'ils soient attachés ensemble par le licol.
13° - De dresser procès verbal contre ceux qui chasseront même sur leurs terrains avant le leT Septembre.
14° - Si quelqu'un fait appercevoir au garde messier qu'il se commet un délit à ses côtés et qu'il n'y aille pas, il sera lui-même à l'amende de 24 sols.Les mêmes instructions sont données, à la date du 15 mai 1791, au nouveau garde messier, Pierre Sagniez, ,qui prête serment en présence de la municipalité. On les rencontre une troisième fois dans le registre des délibérations, au 28 mai 1792, à la nomination du garde, avec cette précision qu'il est nommé « pour 4 mois et 20 jours à commencer le 10 juin 1792 et finir le 1er novembre ». Après les instructions, le conseil ajoute «mais comme nous ne pouvons faire aucune convention sans estre autorisé de nos supérieurs, nous prions Monsieur le Juge de Paix de Picquigny d'aborder les conventions cy-dessus et d'autoriser le payement des gages ». En 1790.et en 1791, le garde touche «20 sols par jour, pendant le teins qu'il sera en exercice, excepté le dimanche qu'il sera obligé d'y aller gratis ». En 1792, le garde messier remplit ses fonctions «moyennant 6 livres par semaine, ce qui fait la somme de 120 livres à payer en 4 termes, savoir le 1er d'aujourd'hui (28 mai) en 5 semaines, en continuant jusqu'au parfait payement ». Enfin, la délibération précise que cette charge sera supportée et payée «tant par les exploitants de La Chaussée et Tirancourt que par les externes, soit terre ou prés,dont l'assiette se fera au journal porté ou non porté suivant l'usage des rôles précédents ». La nomination « d'un garde champêtre » a lieu le 9 floréal an II (mai 1796), le citoyen Louis Boitel, demeurant à Belloy-sur-Somme, est choisi. Malheureusement le procès-verbal est resté incomplet et c'est le dernier sur cette question.
L'assemblée municipale, qui sait réglementer exactement, se devait de réglementer ses propres assemblées ; elle n'y manqua point, et ceci nous vaut sept «articles de police réglementaire sur la tenue des assemblées du conseil général de la commune ».
Article 1er - Les assemblées du Conseil Général de la commune seront à l'avenir convoquées au son de la cloche moyenne qui, à cet effet, sera sonnée à volée pendant un court espace de temps.
Article 2. - Tous les membres du Conseil Général de la commune sont invités à se rendre aux assemblé le plus exactement qu'il leur sera possible, attendue que leurs négligences répondant mal aux intentions des citoyens de cette commune qui ont biens voulue les honorer de leurs suffrages.
Article 3. - Tous les assemblé En vertu des Loix Estant devenue publique Les Citoyens qui voudront nous honorer de leur présence y seront admis tant pour prendre connaissance des délibérations que pour y donner leur avis.
Article 4. - Toute Les assemblé commenceront immédiatement après que la Cloche aura cessée qui dans certain cas pourat être sonnée pendant un demy quart d'heure.
Article 5. - Pour la commodité de tout Les Citoyens les séances se tiendront les fêtes et dimanches le plus souvent qu'il sera possible à issue de la Messe ou des vespres paroissialle.
Article 6. - Dans les cas urgent il y anra une séance par semaine qui tant que faire se poura sera toujours fixé au mercredy Savoir à six heurs l'hiver et à huit heures l'étté qui sera toujours annoncé au son de la Cloche.
Article 7. - Pour donner une publicité au présent Réglement Le citoyens d'aire Curé dudit La Chaussée Et invité; d'En faire Lecture à son prône Le dimanche suivant En présence de tous les citoyens afin que personne n'en ignore.De juin 1792 à brumaire an V, le registre de la municipalité note quelques-uns des passeports délivrés à des habitants de la commune. Au total 46 passeports sont notés : 8 entre le 26 mai et le 21 juin 1792 ; 22 entre le 26 mars et le 21 avril 1793 ; 11 en frimaire-nivose an II avec certificat de civisme sur 1a feuille du passeport ; 5 de brumaire à pluviose an III. Les indications de professions, d'âges, de surnoms, quelques signalements aussi, sont conservés grâce à ces listes de passeports.
Ces comptes municipaux, règlements de police, exemples d'amendes et délivrances de passeports montrent une municipalité au travail pour administrer la commune, y maintenir l'ordre et se conformer aux lois. Dans ces temps révolutionnaires, cette municipalité débutante doit s'occuper de toutes sortes de problèmes ; il lui arrive même d'être appelée à en résoudre d'assez épineux et inattendus. Témoin ce procès-verbal du 6 mai 1793 ; il relève de la police municipale, de la moralité... et de la comédie ; il permet donc de terminer avec un sourire cet austère chapitre :
« Nous maires, officiers municipaux, assisté du Secrétaire Greffier, nous nous sommes transporté chez La Vve Jacques Domon dudit lieu, y avons trouvé Julitte Domon, sa fille, couché dans son lit qui nous a déclaré qu'elle estez accouché sur les quatre heures d'après midy d'un garçon qu'elle nous a dit estre des eeuvres de Jean-Bte Brandicourt, homme marié demeurant audit La Chaussée et vis à vis sa porte ; laquelle Julitte Domon nous a sommée comme assisté de Marie-Made,leine Guion, sage-gemme dudit lieu, de vouloir bien présenter son enfant audit Brandicourt, parvenus à la porte dudit Brandicourt que nous avons trouvé fermé, iaquelle porte nous a esté sur le champs ouverte par ledit Brandicourt sur notre réquisition et qui nous a demandé quelle estéz le subjet de notre mission, nous lui avons répondu que nous venions le prier de vouloir bien nous déclarer s'il reconnaissez que cette enfant esteit de lui et il nous a répondue que non et a nié le fait, sur plusieurs questions a lui faitte auquelle il a toujours répondu d'une manière assez vague et il a finie en nous disant que nous ne pouvions point assurer que cette enfant estoit de lui puisque nous n'y estions pas, quand il l'avoit fait, réponse qui prouve assez bien l'embaras où se trouve une homme qui n'est pas ferme, quoy qu'en uzant ayant trouvé appropos qu'il estoit inutille de l'interoger d'avantage, nous nous sommes retirée chez lesditte Domon où nous avons rédigé le présent procès-verbal ledit jour et an que dessus. Et avons signé ainsy que Notre Secrétaire Greffier ».