CHAPITRE VI
Le curé réfractaire et le curé jureur

Le 12 janvier 1784, François Desavoye, curé de La Chaussée depuis mars 1780, signe pour la dernière fois sur son registre paroissial. Moins d'un mois plus tard, le lundi 9 février 1784, il décède dans son presbytère. Jusqu'à l'arrivée d'un successeur, Carette, curé de Saint-Vast, Bullot, curé de Saint-Pierre à-Gouy, Ricouart, chapelain de Picquigny, Dinouart, vicaire de Picquigny et J. Desavoye, vicaire de Belloy, se partagent le service religieux de La Chaussée et Tirancourt. Ce vicaire de Belloy est déjà venu remplacer son parent François Desavoye. Pendant les trois années précédentes, il a ainsi remédié à l'absence de vicaire à La Chaussée. Cette paroisse a eu en effet son vicaire jusqu'en 1779 et François Desavoye est le premier curé de La Chaussée qui n'en a pas. Les deux derniers vicaires : Desmarest, de 1775 à 1777, et Vasseur en 1779, remplacent même souvent Jean-Baptiste Merchez, prédécesseur de François Desavoye (Archives départementales, Actes de La Chaussée, années 1775-1784).

Le jour même du décès du curé de La Chaussée, le Chapitre de l'église collégiale de Saint-Martin de Picquigny, s'occupe du choix du successeur. A l'issue de la messe Canoniale, Messieurs les Chanoines de Picquigny : Hecquet, Hiel, Vion, le Pruvos de Glimont, Sangnier, tiennent un Chapitre ordinaire auquel assistent aussi du Bois, chanoine vicarial, Houssart, chapelain de l'église collégiale et Jean-Baptiste Dupontreué, secrétaire du Chapitre. Maître Jean-Baptiste Beauger, chanoine capitulant, «fait la nomination à la cure de La Chaussée dont la teneur en suit ». D'après le texte latin, «la nomination et le droit de patronage reviennent à Maître Beauger en raison de son canonicat et de sa prébende dite d'Yzeux, sur le côté gauche ; la présentation revient aux chanoines du Chapitre depuis un temps ancien » (« Nominatio jusque patronatus ad nos ratione nostrorum canonicatus et praebendae dictorum d'Yzeux a latere sinistro, praesentatio vero ad vos ab antiquo, dum ipsam (curam de La Chaussée) vacare contigerit spectare et pertinere dignoscuntur ». Archives départementales G. 632). Le registre aux actes capitulaires continue : «Après laquelle nomination que mesdits sieurs ont déclarés avoir pour agréable il a été résolu que la présentation sur Ycelle (cure de La Chaussée) seroit faite en leurs noms à Monseigneur l'Evêque d'Amiens ou à Messieurs les Vicaires Généraux». Le prêtre présenté par le Chapitre de Picquigny fut agréé par Monseigneur l'Evêque d'Amiens. C'était Charles-François Demachy.

De cette année 1784 jusqu'en 1803, c'est-à-dire de la fin de l'ancien régime au début de la période concordataire, la paroisse de La Chaussée-Tirancourt eût deux curés : ce Charles Demachy, puis Adrien Daire. Ces deux curés eurent une conduite opposée durant la persécution religieuse et quittèrent La Chaussée pour des motifs très différents : Charles Demachy est le type du curé réfractaire, Adrien Daire est un curé jureur.
Charles-François Demachy naquit à Airaines en 1731. Il eût au moins un frère, Antoine, notaire et juge de paix du canton dont Airaines était alors le chef-lieu, et une sœur, Madeleine, qui résida longtemps à Hangest-sur-Somme. Un Boniface Demachy fût aussi notaire à Airaines (Archives départementales Série L 3.175 et 4.023. - Série G 2.016 (no 491), et MARCHAND : Notes pour servir à l'histoire d'Airaines, pages 246 sq).

Charles fit ses études d'humanités chez les Jésuites ; après son ordination sacerdotale, il fut pendant quelque temps vicaire au Quesnoy, puis il vint auprès de son oncle François (Le prénom de ce « Demachy ancien curé » dont parle M. J. EsSTIENNE, Etat sommaire, p. 233, est en effet François, d'après une supplique adressée par lui à Mgr l'Evêque d'Amiens le 3 Décembre 1745 (Archives paroissiales d'Hangest-sur-Somme).) Demachy, curé d'Hangest-sur-Somme. Le jeune prêtre aida dans son ministère paroissial son vieil oncle qui mourût le 7 juillet 1763, âgé de 72 ans.
Dès l'année 1760, Charles avait succédé à son oncle comme curé d'Hangest, il le resta jusqu'en 1784. Pendant son séjour à Hangest, Charles Demachy fut non seulement un curé zélé, mais encore un bienfaiteur insigne de sa paroisse, surtout lors des deux incendies qui éclatèrent la même année et détruisirent une grande partie des habitations. Pour venir en aide aux victimes, Charles Demachy entreprit le voyage de Paris où sa famille et lui avaient quelques amis ; il y sollicita les aumônes de personnes riches, s'adressa même à la cour de Louis XV et recueillit des sommes importantes qui aidèrent à réparer les désastres (Vie du R. P. Sellier, de la compagnie de Jésus, par le B. P. GUIDÉE).
Nommé curé de La Chaussée-Tirancourt, Charles Demachy quitta son doyenné d'Airaines pour venir dans celui de Vignacourt (A cette époque, le doyenné de Vignacourt comprend les paroisses de Belloy-sur-Somme, Bettencourt-Samt-Ouen, Bourdon, Flixecourt, La Chaussée-Tirancourt, St-Vast-en-Chaussée et Yzeux. Le doyenné de Picquigny comprend les paroisses d'Ailly-sur-Somme, Breilly, Cavillon, Crouy, Fourdrinoy, Le Mesge, St-Pierre-à-Gouy, Soues. Les paroisses d'Hangest-sur-Somme et Condé-Folie sont rattachées au doyenné d'Airaines). Il arriva dans sa nouvelle paroisse peu de jours après l'enterrement de son prédécesseur. Le 21 février 1784, il signa pour la première fois sur le registre paroissial. Son premier «acte » est intéressant à noter puisque c'est l'inhumation de Jean-Baptiste Thuillier, de Tirancourt, Seigneur de Numel.
En 1789, Charles Demachy fut élu pour l'assemblée générale des trois ordres du bailliage d'Amiens qui eût lieu le 30 mars. Dans l'ordre des curés, les commissaires sont au nombre de seize ; Charles Demachy, curé de La Chaussée fût élu le dixième avec 90 voix, le premier avant été élu avec 132 voix et le dernier, M. Callé, curé de Saint-Riquier, avec 57 voix.
Cette même année, Charles Demachy signe avec Vasseur, curé de Picquigny, le cahier des doléances du clergé du bailliage d'Amiens. Il signe «curé de La Chaussée et doyen de Vignacourt », il est en effet «doyen de chrétienté », titre donné à cette époque au prêtre chargé de représenter l'autorité épiscopale dans un doyenné (Dans Le clergé picard pendant la Révolution, M. le Ch. LE SUEUR Cite Demachy à I., 140, 163 et à II 13, 263, 287. - Dans Le clergé de l'église d'Amiens en 1789, DARSY cite Demachy aux pages 97 et 344).
Dès le 24 janvier 1790, c'est-à-dire dès sa première page, le « Registre des délibérations de la paroisse de La Chaussée et Tirancourt » parle de Charles Demachy. Six fois, le curé signe sur le registre, écrivant toujours son nom en un seul mot, et faisant suivre sa signature du titre de « Président » aux procès-verbaux des trois assemblées municipales présidées par lui.

Le 17 janvier, le Curé « annonce au prône... que, huit jours après, tous les citoyens actifs de cette paroisse se. réuniront à l'effet de procéder à la nomination des officiers municipaux». Le dimanche 24 janvier, M. Thuillier de Monrefuge est élu président, mais il n'accepte pas et « la présidence a été dévolue de droit à Monsieur Demachy, curé de la paroisse comme le plus nommé ». Après la nomination du maire et de deux officiers municipaux, « Monsieur le Président a levé la séance ». Ce premier procès-verbal est signé seulement par Demachy, président, et Deflandre, secrétaire.
Le dimanche 31 janvier, la séance est reprise pour la nomination de trois officiers municipaux qui restent . à élire. « Monsieur de Machy a réuni la majorité des suffrages tel que de trente une voix sur trente cinq votants ». Le Curé est donc troisième officier municipal, les deux derniers officiers municipaux sont élus à 15 et 14 voix sur 37 votants. Le procès-verbal est signé d'abord par Demachy, président, puis par les secrétaire, maire, officiers municipaux, notables et autres citoyens, au total seize signatures. Le surlendemain, mardi 2 février 1790, en la fête de la Purification de la Sainte Vierge, une nouvelle réunion a lieu dans l'église pour la prestation du serment requis par l'Assemblée Nationale. Le procès-verbal est signé par le maire, puis par « Demachy, curé », ensuite par quinze autres citoyens.
M. Thuillier de Monrefuge ayant démissionné le 25 juillet 1790, les citoyens actifs de La Chaussée se réunissent dans l'église le dimanche suivant, 1er août, pour élire un nouveau maire. M. Demachy recueille la majorité absolue sur 19 votants et est élu président. Après l'assemblée, le procès-verbal est clos et signé. C'est la troisième et dernière fois que M. Demachy est président pour les élections municipales et qu'il signe le procès-verbal le premier, en faisant suivre sa signature du titre de «président».

Le registre de La Chaussée indique, au 23 janvier 1791, que la municipalité a reçu et fait publier et afficher à la porte de l'église, à l'issue de la messe paroissiale la loi relative au serment que doivent prêter les Evêques et autres ecclésiastiques fonctionnaires publics. Par cette loi, le clergé français sera prochainement séparé en deux : les prêtres réfractaires et les prêtres jureurs.

Les confrères voisins de Charles Demachy vont presque tous glisser des restrictions dans leur serment. Dès le dimanche 30 janvier, Joseph Ducrotoy, curé de Vignacourt, montre l'exemple et fait précéder son serment de cette déclaration très nette : «Messieurs, on nous demande un serment, une loi l'exige, mais sans doute cette loi n'exige pas et ne peut exiger que nous fassions un serment contre notre conscience, or voicy celui que je fait, celui que je croy pouvoir faire ». Après cette introduction, le curé de Vignacourt fait ce serment très restrictif : « Je soussigné ministre de Jésus-Christ, je jure de veiller avec soin sur les âmes qui me sont confiées, d'obéir à la nation, à la loi et au roy, de maintenir de tout mon pouvoir la constitution décrétée par l'assemblée nationale et sanctionnée par le roy, exceptant formellement tous ce qui tient essentiellement à la foi, à la religion catholique, appostolique et romaine, dans laquelle je suis résolu de vivre et mourir ». Après le curé de Vignacourt, les deux vicaires de la paroisse, Félix Martin et Louis Alexandre, prononcent un serment aussi restrictif que le curé et à peu près dans les mêmes termes (Archives de la mairie de Vignacourt, Registre des délibérations de la Municipalité, année 1791).
De son côté, Pierre-Antoine Vasseur, curé-doyen de Picquigny, avait fait «au secrétariat de la municipalité la déclaration qu'il pretteroit son serment civique le 6 février» (Dans Picquigny et ses Seigneurs, page 97, DARSY indique par erreur le 4 Février, c'est-à-dire un vendredi, probablement le jour que Vasseur se rendit au secrétariat pour sa déclaration. Dans la région, tous les serments sont prononcés un dimanche ou un jour de fête, à l'issue de la messe paroissiale). Les maire, officiers municipaux et notables de Picquigny a extraordinairement assemblés en l'église paroissiale de St. Jean-Baptiste de Picquigny d'après convocation et en conséquence de la déclaration » assistèrent donc à la messe chantée en cette église détruite depuis. « A l'issus de la messe paroissiale » le curé de Picquigny prononça son serment, et le vicaire, Jean-Baptiste Desavoye, fit exactement le même serment que le curé. Ce serment est aussi restrictif que celui du curé et des vicaires de Vignacourt, puisque le curé de Picquigny commence par ce préambule : «L'assemblée nationale ayant déclaré dans son instruction décrétée le 21 janvier dernier qu'elle n'avait point entendu toucher à l'authorité spirituelle encore moins aux vérités de la foy dans sa constitution civile du Clergé, conformément à cette déclaration, moy curé de Picquigny, je jure et promets de continuer mes soins et ma vigilance sur les âmes qui me sont confiées », etc...
Le curé de La Chaussée eût une attitude conforme à celle de ses confrères voisins et il prononça son serment le dimanche 6 février « à issus de la messe paroissiale » comme ses confrères de Picquigny. Ce serment de Charles Demachy est nettement restrictif. Voici le texte que donne le registre de la municipalité : « 6 feuvrier 1791. Prestation du serment de Monsieur de Machy, curé de Laditte paroisse en disant : L'Assemblée Nationale déclarant dans son instruction décrèter qu'elle n'a point entendue toucher à l'Autorité Spirituelle, encore Moins aux Vérités de La Foy dans sa constitution Civil du clergé ; en conséquence je jure en Exceptant dans mon Serment tout ce qui, dans Laditte constitution toucheroit à l'Autorité spirituelle et aux vérité de La Foy, conformément à La susditte déclaration de L'assemblée Nationale, je jure de veiller avec soin sur les fidelles de La paroisse qui Mest confié, d'être fidelle à La Nation, à la Loy, au Roy et de maintenir de tout mon pouvoir La constitution décrété par Lassemblé Nationale et accepté par Le Roy et a signé de Machy, curé de La Chaussée ». Une seule signature, celle de « Deflandre, secrétaire greffier », suit ce texte. Il reste ensuite un large espace blanc qui semble attendre encore la signature du curé Demachy (Archives départementales. Série Le 1890 et 1891).
Le texte du serment, la manière dont il est enregistré, l'absence de signature font deviner que Charles Demachy adopte une attitude d'expectative défiante qui traduit l'inquiétude secrète de son âme. Aussi, quatre mois après le serment, Charles Demachy, curé de La Chaussée depuis sept ans, est « déplacé le 13 juin 1791 » et il se retire à Tirancourt.

Cinq mois plus tard, le 13 novembre 1791, la municipalité procède au remplacement de trois officiers municipaux sortants, dont «M. de Machy, Cy devant curé ».

Le 17 décembre 1791, M. Demachy écrit à Messieurs les administrateurs du directoire du département de la Somme, à Amiens, au sujet de ses impôts. Il expose que sur le rôle pour acompte des impositions de la paroisse de La Chaussée pour 1791 il se trouve imposé à la somme de 134 livres 19 deniers comme faisant moitié de celle 269 Livres 18 sols 3 deniers, somme à laquelle il avait été imposé pour 1790. En cela, explique-t-il, il est doublement surtaxé, 1° parce que son traitement ayant été fixé à 1.700 Livres il ne devait supporter pour toutes impositions pour 1790 qu'un dix-huitième suivant les décrets et aussi une ordonnance en date du 18 octobre 1791 rendue sur requête et lui allouant la restitution de l'excédent de ce dix-huitième. 2° parce qu'il n'a perçu sur 1.700 Livres que le traitement de 9 mois et 12 jours, le traitement n'étant plus que de 500 Livres depuis le 13 juin 1791 (Archives départementales. Série Lc 1900).

Le 21 décembre, le, directeur du district renvoie le mémoire et l'extrait du rôle à la municipalité de La Chaussée pour qu'elle donne son avis dans le plus court délai. Quatre jours après, la municipalité répond que ledit Demachy doit être déchargé, pour son imposition de la taille, de la somme de 30 Livres 5 sols 3 deniers et pour son vingtième qui doit être à la charge de la nation, de la somme de 57 Livres 4 deniers. Le total des décharges serait donc de 87 Livres 9 sols 7 deniers et il ne resterait à payer que 47 Livres au lieu des 134 Livres demandées. Le 10 janvier 1792, une nouvelle lettre du directoire du district d'Amiens fait remarquer que le rôle d'acompte sur les contributions foncière et mobilière est établi, en effet, sur la dépouille de 1790, mais que les sommes qu'il contient sont relatives au revenu de 1791. En conséquence, M. Demachy ne doit être cotisé dans le rôle que d'après son traitement de 1791 et proportionnellement au temps qu'il a exercé ses fonctions de curé. Le Conseil municipal décide alors, le 20 janvier 1792, que son ci-devant curé ne doit payer en tout que 35 Livres.
En mars 1792, le recensement des citoyens actifs de La Chaussée et Tirancourt et de leurs fils âgés de 18 ans est fait « à l'usage destre gardes Nationales ». Dans la liste des 39 citoyens actifs de Tirancourt, on lit «Monsieur de Machy, prêtre ». C'est le dernier renseignement donné par le registre des délibérations de La Chaussée et Tirancourt au sujet de son ancien curé.

L'Assemblée Nationale ayant rendu, le 26 août 1792, un décret d'expulsion contre les prêtres réfractaires, M. Demachy demande un passeport pour l'Angleterre ; il l'obtient le 6 septembre 1792. I1 quitte Tirancourt dès le lendemain et se rend chez M. Vion à L'Etoile. Sous la conduite d'un fils de M. Vion et d'un autre jeune homme, il part vers Boulogne le 7 septembre, avec Pierre Chopart, chanoine curé de Longpré-les-CorpsSaints, M. Vion, curé de Fay, frère de M. Vion de l'Etoile, Honoré Duplan, curé de Bourdon et deux autres ecclésiastiques. Le groupe évite autant que possible les agglomérations et malgré un accident survenu à la voiture auprès d'Etaples, il arrive à Boulogne le 8 septembre. L'officier municipal chargé de viser les passeports reçoit ces curés avec sympathie et leur conseille de rester enfermés à l'hôtel jusqu'à leur départ pour éviter des manifestations hostiles. Conduits peu après jusqu'au port entre quatre soldats, ils sont couverts d'injures et molestés par la populace jusqu'au moment où une barque éloigne de la terre de France, pour plusieurs années, nos six curés picards.

Quand Charles Demachy eût quitté la terre de France, le nommé Charles-Marie Bourgeois, citoyen de Picquigny, commissaire pour inventorier tous les effets des émigrés et prêtres déportés du canton de Picquigny, commença le 26 frimaire an II (novembre 1794) «sur des indications données par de bons citoyens » la recherche des effets du curé réfractaire et déporté. Pour l'aider dans cette piètre besogne, Charles Bourgeois requît le maire de La Chaussée, Jean-Baptiste Fouache, de lui déclarer s'il avait envoyé l'état des biens des émigrés. Le maire lui répondit : « Oui, il y a bien six semaines ». Alors Charles Bourgeois se fit accompagner du maire et de l'ancien procureur, JeanBaptiste Cauchy, jusqu'à la maison habitée en dernier lieu à Tirancourt, par l'ancien curé de La Chaussée. Notre commissaire y trouva « Catherine Bondois cy devant servante » du curé, et François Caron, cultivateur, qui habitait une partie de la même maison. Pour tout mobilier, on put récupérer une armoire en chêne à deux battants, fermant à clé, estimée 36 Livres, un bois de lit estimé 8 Livres, et une escabelle estimée 4 Livres. Le commissaire était pour le moins déçu d'être presque bredouille, aussi procéda-t-il à un interrogatoire menaçant et dans son rapport il raconte : « J'ay sommé ladite Catherine Bondois de me dire ce qu'était devenu le surplus du mobilier que possédait Demachy à l'instant de sa déportation, elle m'a répondu que Madeleine Demachy, sœur dudit déporté, les avoit fait enlever et conduire à Hangest où elle fait sa résidence ». Le commissaire fait compléter cette confession par celle du pauvre François Caron : « Il m'a dit qu'il en avoit chargé une voiture audit Hangest par ordre de ladite sœur de Demachy, que deux autres voitures avoient été faites par François Hulot et le domestique de la dame Thuillier ». Naturellement le commissaire poursuit courageusement jusqu'à Hangest son enquête et le mobilier ; il arrive ainsi à faire vendre à Hangest le 7 Vendémiaire an II (septembre 1794) des objets appartenant à Charles Demachy. Ce qui est à la fois instructif et amusant, c'est que les neuf-dixièmes de ces effets sont rachetés directement et sans aucune opposition révolutionnaire par la sœur du curé, Madeleine Demachy, chez qui et à qui on l'a pris.

L'on peut présumer sans témérité qu'une partie du mobilier a pu échapper à la vente grâce à de bienveillantes complicités, car il manque bon nombre d'objets indispensables et tout le linge. L'on constate toutefois que le mobilier vendu ne semble pas celui d'un curé pauvre. Dans cette liste hétéroclite, l'on voit apparaître «Un guéridon en noïer tourné (16 sols), un lit de plume (6 Livres 5 sols), une grande table sur quatre pieds avec un tiroir (4 Livres 5 sols), une table ovale en bois blanc pliante (45 sols), une paire d'armoire de bois de chêne fermant à clef à deux battants (33 Livres), un ban d'armoire en chêne à deux batan fermant à clef (16 Livres 5 sols), encore un ban d'armoire à quatre batan fermant d'une seule clef (15 Livres 10 sols), six chaises et un fauteuille de paille (46 sols) ».

Parmi les articles de cuisine, on remarque : « Un petit chaudron de cuivre (35 sols), un grand passoire de cuivre (3 Livres), un poêlon derrain (5 Livres 5 sols), trois cafetieires de fer blanc mauvaises (12 sols), six fourchettes de fer et six cuilliers détain (32 sols), six assiettes et trois plats, le tout de fayence (30 sols), deux casseroles, petite et grande (42 sols) », etc... Deux soutanes du curé n'ont pu être soustraites à la vente et il est surprenant que la sœur du curé les ait laissé acheter, l'une pour (3 Livres 5 sols), l'autre pour 3 Livres, par deux habitants d'Hangest. Au total, la vente n'a produit que 161 Livres et le receveur d'enregistrement en a reçu 52. (Archives départementales. Série L 1779, n° 85).
Un curé jureur, Adrien Martin Daire, fût installé curé de La Chaussée-Tirancourt le 13 juin 1791, le jour que Charles Demachy fût «déplacé ». Né le 4 juillet 1755 à Hescamps, paroisse de 500 habitants qui faisait partie du canton de Lignière-Chatelain en 1791, Adrien Martin Daire, fils d'Antoine Florimond Daire et de Marie Thérèse d'Hérissart, fût baptisé le même jour par Vast vicaire et eût pour parrain Pierre d'Hérissart et pour marraine Anne Delamarre (Extrait du registre aux actes de baptême de la cy devant paroisse de hescamps).
Pendant le XVIII° siècle, cinq prêtres au moins portent ce nom de Daire parmi les ecclésiastiques du diocèse d'Amiens, sans compter le père Daire, religieux célestin, le premier historien d'Amiens. De 1720 à 1729, c'est un Adrien Daire qui est curé d'Epaumesnil et le 16 février 1730, un Adrien Daire, vicaire à Picquigny, accompagne Jean Le Comte, curé de Picquigny, à l'inhumation de Joseph Hubert, curé de Breilly (Inventaire sommaire des archives communales de Picquigny, page 315). On retrouve un Adrien François Daire, peut-être le même prêtre, curé de Cavillon en 1733 et décédé dans sa paroisse le 12 juillet 1751. Son frère (Archives départementales. E supplémentaire 1.021) Joseph Daire, est desservant de La Chapelle-sous-Poix en 1721, curé de Bettencourt-Rivière en 1722, curé de Ferrières de 1722 à 1746 et meurt dans cette paroisse le 22 Septembre 1746. Plus tard, on trouve un Jean-François Daire, curé de Louvrechies de 1784 à 1792, peut-être le Daire qui a été curé de Caulières et a fait un serment sans restriction (Serait-ce le Jean-François Daire, fils de François Daire et de Marguerite Desavoye, fermier des fermes de Menenvillers, paroisse de Notre Dame du Gard, qui est né et a été baptisé le 9 Octobre 1746? (La 1.049).). Il reste encore un Jacques Daire, curé de Saint-Leu en Seine-et-Oise, l'on aura l'occasion de le rencontrer plus loin (Le prénom de ce Daire est certainement Jacques, voir tous les actes officiels, contre 11f. Le Sueur qui l'appelle Joseph (Clergé picard pendant la Révolution, II, 447).).
Des liens de parenté existaient-ils entre ces prêtres ? Rien ne permet de le certifier. Cependant ce nom, qui n'est pas très courant, a ordinairement la même orthographe; parmi les prénoms, on retrouve deux fois Adrien et deux fois François ; quatre de ces prêtres semblent avoir une prédilection pour la région de Lignière-Châtelain et Poix. Malheureusement, trois d'entre-eux, il faudrait peut-être écrire «les trois » qui vivent en 1791 : Jean-François, Jacques et Adrien-Martin, témoignent de la même soumission aux serments révolutionnaires (Dans Le clergé picard pendant la Révolution, M. le Ch. LE SUEUR cite des « Daire » à II 112, 440, 447. -Dans Le clergé de l'église d'Amiens en 1789, DARSY cite des « Daire » aux pages 29 et 212).
Sur «le livre de recettes du Séminaire » d'Amiens, on peut lire, à la date de mai 1768 « reçu de M. Daire 81 Livres pour son troisième quartier ». Quel Daire a versé cette somme ? (Archives départementales. Série X. G 1).
Les uns sont déjà prêtres ; le futur curé de La Chaussée a seulement treize ans ; peut-être est-ce Jacques Daire, curé de St-Leu en Seine-et-Oise, à partir de 1771, mais en 1768 il a déjà trente-neuf ans. Sur ce même livre de comptes, on lit encore le nom de Daire en 1784. Le 14 décembre de cette année, «M. Daire sous-diacre a versé 4 Livres 16 sols ». Tous les autres Daire sont déjà prêtres, c'est donc Adrien-Martin que l'on retrouverait ainsi, à quelques mois de son ordination sacerdotale. Il aurait 29 ans.

En 1790, Adrien-Martin Daire est vicaire de Neuville-St-Germain dit Coppegueule. A ce titre il accompagne en juin 1790 le curé de cette paroisse M. Solmon, au mariage de sa nièce à Fontaine-sur-Somme, tout près de Vieulaines son village natal (Archives paroissiales de Fontaine-sur-Somme. Le 16 février 1791, Adrien-Martin Daire, toujours vicaire de Neuville-StGermain, «prête serment, conformément au décret de l'assemblée Nationale, sans aucune restriction, en présence du corps municipal et de toute la paroisse». (Archives départementales La 1049)).
Le 13 juin 1791, Adrien Daire réitère son serment en l'église de La Chaussée le jour de son installation. En octobre 1791, il fait don d'un mandat de 10 sous, lors de la quête générale pour les incendiés faite par la municipalité et il est inscrit le premier de la liste des donateurs.

Aux élections du 13 novembre 1791, M. Daire, curé de La Chaussée, est nommé par acclamations pour présider les élections comme M. Demachy les avait présidées naguère. Sous la présidence du nouveau curé, le ci-devant curé, qui était officier municipal et qui réside encore à Tirancourt, est remplacé dans son office par un nommé Félix Guillerand. « Daire curé » ne paraît nullement gêné dans ces circonstances quelque peu délicates, et il signe le procès verbal de cette réunion comme celui du dimanche suivant, 20 novembre, qui termine ces élections.

Au recensement de mars 1792 «Monsieur le Curé Daire » est en tête de la liste des citoyens actifs de la paroisse. Son prédécesseur et lui sont les seuls citoyens dont le nom soit précédé du titre «Monsieur » écrit en toutes lettres, détail qui indique la persistance du respect à l'égard des prêtres malgré l'ouragan révolutionnaire.

Aux élections du 10 juin, puis du 1er juillet 1792, c'est encore M. Daire curé qui est président, mais cette fois par élection. Après avoir pris place au bureau, et prêté serment, c'est le curé président qui proclame les scrutateurs, annonce à quelle élection il sera procédé, proclame les élus, puis il signe « Daire curé président ».

Le 2 octobre 1792, M. Daire fait la « prestation et réitération de serment suivant la loy donnée à Paris le 14 Août 1792 ». Aux élections du 8 décembre 1792, c'est encore le curé de la paroisse qui est nommé président par acclamations. A partir de cette date il n'est plus appelé Monsieur Daire, mais « le citoyen Daire curé ». Le lendemain, les citoyens Maire, officiers municipaux et procureurs de la commune prêtent, dans l'église, à l'issue des vêpres, le serment requis par la Convention Nationale. Parmi les 19 signatures, on lit « Daire », sans aucun titre à la suite. Au cours de ce mois de décembre une seconde quête est faite, par la municipalité, pour les incendies. Deux personnes de La Chaussée font un don de quinze sous, l'une des deux est « le citoyen Daire ».

L'année 1793 s'ouvre par un arrêté de police : « le citoyen Daire curé... est invité d'en faire lecture à son prône le dimanche suivant en présence de tous les citoyens afin que personne n'en ignore »: Le 15 janvier, Daire curé signe le procès-verbal constatant un vol commis dans l'église au cours de la nuit précédente.

Sur sa demande, un certificat de résidence daté du 1er janvier 1793 est délivré au citoyen Daire ; il précise que le curé demeure dans la maison presbytérale et il donne de lui ce signalement : « Agé de trente huit ans, taille cinq pieds trois pouces trois lignes, front élevé, yeux bleus, cheveux et sourcils chatain blond ». Quatre ans après, un autre certificat de vie, délivré par l'administration municipale du canton de Lignière-Châtelain, sera suivi de ce signalement : « taille de cinq pieds quatre pouces, cheveux et sourcils chatain gris, yeux bleus, visage oval, nez long, front haut, bouche moyenne ». Les deux signalements concordent ; mais les années et les événements ont fait grisonner les cheveux du curé jureur.

Pendant toute cette année 1793, le citoyen Daire a du exercer ses fonctions de curé de la même manière que les années précédentes. En l'absence des registres d'actes de La Chaussée trois feuilles volantes qui donnent une liste de 34 baptêmes faits à Belloy entre le 13 janvier 1793 et le 27 mars 1799 appuient cette grande probabilité. En effet, 31 de ces baptêmes ont été faits par le curé de La Chaussée ; le premier de ces baptêmes est daté du 13 janvier 1793 ; au quatrième baptême, il est précisé que l'enfant née et ondoyée le 11 février 1793, a été le même jour portée à l'église pour recevoir la cérémonie du baptême par M. le curé de La Chaussée. A partir du sixième baptême, l'acte porte « par Daire citoyen curé de La Chaussée ». Le dernier baptême fait à Belloy «par Daire citoyen curé de La Chaussée » est daté du 18 janvier 1794 (M. ESTIFNNE, dans E,tat sommaire, etc..., page 196, écrit à la liste des curés de Belloy-sur-Somme : « Daire (curé de La Chaussée » 1792 », Oui, il s'agit d'Adrien Daire, curé de La Chaussée, mais il n'était pas curé de Belloy-sur-Somme.). Ainsi ce curé jureur remplace dans une paroisse voisine un prêtre réfractaire. Mais, attitude plus extraordinaire encore, ce curé vient faire un baptême à Belloy alors que depuis une quinzaine de jours il a abdiqué et remis aux révolutionnaires ses lettres de prêtrise.
En effet le 14 nivôse an II (4 janvier 1794), le citoyen Adrien-Martin Daire, curé de La Chaussée, comparût devant les maire et officiers municipaux réunis en la maison commune, «lequel nous a déclaré verbalement ne vouloir continuer les fonctions de ministre du culte et nous a à l'instant fait la remise de ses lettres de prêtrise composant cinq pièces... et a ledit citoien daire signé sur les registres avec nous membres susdits ». - Cinq des membres susdits ont en effet signé, mais il manque la signature de Daire (Archives départementales. Série Le 1892 et 1895). Une copie de cette déclaration a été délivrée le même jour par le secrétaire greffier, il la fait suivre de cette profession de foi qui la date bien: « 14 de Nivos 2é anée républicaine, une et indivisible philantropique et invincible ». Neuf jours après, le secrétaire greffier délivre un certificat de civisme au citoyen Adrien-Martin Daire « curé de la commune ». Daire a dû quitter son ancienne paroisse peu de temps après. Le registre des délibérations ne le nomme plus, et le 21 brumaire an III (novembre 1794) un cultivateur de La Chaussée porte au district d'Amiens l'argenterie et les cuivres de l'église de La Chaussée.

On retrouve Adrien Daire à Hescamps, son village natal, où il s'est probablement retiré après avoir quitté, la cure de La Chaussée. Le 7 fructidor an VI (août 1798) Daire, qui réside à Hescamps, déclare « qu'il n'a rétracté directement ni indirectement la prestation de serment pour la Liberté et l'Egalité ni celui du dix neuf Fructidor, en outre la soumission exigée par les loix ». Un autre acte écrit quelques jours plus tard, 16 fructidor an VI, et suivi de sept signatures dont celle de Daire lui-même, certifie que le citoyen Adrien Martin Daire, ex curé, demeurant à Hescamps, est vivant, a résidé en France, sans interruption, et a présenté en bonne forme 1°) sa quittance d'imposition mobiliaire de 1792, 2°) celle du dernier tiers de sa contribution patriotique, 3°) le certificat de son civisme. La déclaration ajoute que Daire n'a joui, depuis la suppression de son emploi, d'aucune autre pension ni traitement et n'a touché aucune succession. C'est à la suite de ces déclarations que se trouve le second signalement d'Adrien Daire. Trois ans plus tard, le 3 Thermidor an IX, la municipalité d'Hescamps, «attendu l'absence et la disparition des registres, certifie que Daire, domicilié en cette commune, a fait en temps voulu le serment requis par la loi du 19 Fructidor an IX». Au bas de cet acte, un peu à l'écart et assez effacée, après toutes les autres signatures, on peut lire « Daire ». Ainsi se termine le dernier acte officiel concernant l'ex-curé de La Chaussée.

Qu'est devenu ce prêtre au cours des années suivantes ? Est-il resté à Hescamps ? Est-il retourné à Neuville-Coppegueule, paroisse dont il était vicaire en 1791 ? En tout cas, on retrouve Jacques Daire dans cette paroisse où il avait été baptisé le 10 novembre 1729. Curé de Saint-Leu, canton de Taverny, département de Seine-et-Oise, « pendant environ 24 ans, jusqu'en l'année 1793, époque à laquelle il a quitté son poste », ce Jacques Daire avait prêté une première fois le 23 janvier 1791, et renouvelé le 7 octobre 1792, le serment sans restriction. La municipalité de Neuville-Coppegueule et l'administration municipale du canton de Liomer, dont Neuville-Ceppegueule fait partie, lui délivrent des actes en date du leT vendémiaire, du 14 messidor an VII (septembre 1798 et juillet 1799) et du 29 prairial. La municipalité de Neuville-Coppegueule délivre encore le 11 thermidor an IX (août 1802) un extrait du serment fait par Adrien Daire quand il était vicaire en cette paroisse et un certificat pour Jacques Daire, attestant «qu'il a une pension ecclésiastique de 1638 livres 15 sols par an et qu'il n'a rien reçu depuis son départ de St-Leu pour se rendre à Neuville-Coppegueule ». En octobre 1793, ces deux Daire, qui avaient probablement quelque lien de parenté, vivaient à Neuville-Coppegueule. Tous deux ont abandonné leurs fonctions ecclésiastiques et en 1802 tous les deux, l'ex-curé de La Chaussée maintenant âgé de 47 ans, et l'ex-curé de St-Leu, âgé de 73 ans, se préoccupent également de toucher leur pension.

De l'un et de l'autre on ne retrouve plus la trace, dans les ordos ou dans d'autres documents ecclésiastiques. Ils n'ont donc pas dû reprendre les fonctions de ministre du culte. Probablement ils sont morts tous deux dans le village de leur baptême, mais dans quelle situation canonique et avec quels sentiments intimes ?
Depuis ce fameux serment de janvier-février 1791 qui trace une ligne de séparation entre les jureurs et les réfractaires, la vie d'Adrien Daire est très ordinaire et peu courageuse. Au contraire, la vie de Charles Demachy est très mouvementée et reste vraiment sacerdotale.
Quand il quitte Boulogne, le 8 septembre 1792, Charles Demachy pense gagner Ostende avec ses confrères picards, mais une tempête en décide autrement et oblige les matelots à choisir entre le retour à Boulogne ou le débarquement en Angleterre. Les prêtres expulsés ne veulent pas retourner vers la France, on les débarque donc à Douvres le 9 septembre, après une nuit agitée.
Ils reprennent bientôt la mer pour se diriger vers le Brabant. Accueillis avec bonté, ils sont invités le 17 septembre à se rendre au palais épiscopal de Gand le lendemain vers 8 heures du matin. A la suite de cette visite, Charles Demachy est placé dans l'abbaye de la Dyloke avec ses voisins, les curés de Belloy et de Bourdon, et deux autres prêtres, Messieurs Vion et Beauger. Madame l'Abbesse est absente, mais elle a donné les ordres nécessaires pour accueillir avec soin les prêtres proscrits. Demeurés dans cette abbaye jusqu'à l'approche des armées de la Révolution, les cinq prêtres sont alors obligés de fuir, c'est à ce moment que M. Beauger se sépare de ses compagnons. Charles Demachy se dirige vers Malines où il arrive le 13 novembre il en repart le 14 pour Louvain ; le 18 novembre il assiste à l'entrée des Français à Anvers. Il quitte Anvers le samedi 5 juillet 1793, en même temps qu'Honoré Duplan curé de Bourdon, Nicolas Bonnard, curé de Belloy, et Vion, curé de Fay, ses compagnons d'émigration depuis dix mois ; tous trois se rendent à Turnhout, puis à Bècle, en Hollande, et ils arrivent à Munster le 29 septembre 1793.

Charles Demachy se rend ensuite à Dusseldorf où il vit en 1794 avec quelques curés des environs de La Chaussée : Pierre Boullet, son successeur à Hangest-surSomme, Honoré Duplan, curé de Bourdon, L. Monvoisin, curé de Flesselles, Claude Longuet, curé d'Halloyles-Pernois, Bellegueule, curé de Fontaine-sur-Somme et Chochot, curé de Fluy, qui meurt pendant son émigration en 1797.

Plusieurs de ces curés rentrent en France au cours de l'année 1797. Honoré Duplan, curé de Bourdon, parti avec Charles Demachy et resté presque toujours avec lui, rentre à Domart son village natal, en juillet 1797 (Pour « Demachy émigré », deux sources : JOSSE : L'abbé Chopart, etc... et les notes d'Honoré DUPLAN). Pierre Chopart, chanoine-curé de Longpré-les-Corps-Saints, lui aussi parti et presque toujours resté avec Charles Demachy, rentre le 7 juillet 1797. A quelle époque Charles Demachy est-il rentré ? Probablement vers la même époque que ses deux fidèles confrères voisins. Toutefois le premier renseignement que l'on trouve à son sujet est l'annonce de son décès. En effet on lit à la page 44 de l'Ordo de 1801, dans la liste des prêtres morts depuis,1792 : « Demachy P. (pastor) de la Chaussée » (Dans ce même nécrologe de l'Ordo de 1801, on lit encore : « Mercher, ex P. (pastor) de La Chaussée». Il s'agit de Jean-Baptiste Merchez (et non pas Mercher), né à Lamotte-en-Ponthieu vers 1717, curé de La Chaussée de 1756 à 1780, donc prédécesseur immédiat de François Desavoye. Ce prêtre a été emprisonné à Bicêtre le 7 Septembre 1793, aux Capettes le 16 Février 1794, aux Carmélites le 17 Mars, enfin à Bicêtre le 1er Mai 1794). Quoi qu'en dise l'Ordo, Charles Demachy n'est pas mort. Ne serait-il donc pas encore de retour quand cet Ordo a été établi, c'est-à-dire pendant les derniers mois de 1800 ? Les prêtres picards qui ont émigré avec lui l'auraient-ils perdu de vue ou auraient-ils annoncé qu'il était mort vers la fin de l'émigration ?
Quoiqu'il en soit de cette annonce officielle, on retrouve très nette, à partir de juillet 1802, la trace de Charles Demachy. Le 27 juillet 1802, (thermidor an X), Charles Demachy « curé de La Chaussée, doyen rural de Vignacourt », va marier dans son ancienne paroisse, à Hangest, avec la permission de Pierre Boullet curé, Jean-Charles Jourdain, âgé de 25 ans, «avec Marie-Louise Sellier, âgée de 27 ans, fille des défunts Louis Sellier et Jeanne Demachy, en présence d'Antoine Demachy, oncle de la contractante ». Cet acte de mariage, conservé dans les archives d'Hangest-sur-Somme, prouve que Charles Demachy, parti de La Chaussée en septembre 1792, est rentré dans cette paroisse après la tourmente révolutionnaire et y a repris les fonctions ecclésiastiques interrompues depuis janvier 1794. Quant à cette Jeanne Demachy, mariée à Louis Sellier, elle est la sœur de François Demachy, oncle et prédécesseur de Charles Demachy à Hangest. La jeune mariée, Marie-Louise Sellier, sœur de l'illustre jésuite, Louis Sellier, né à Hangest le 20 juillet 1772, est donc la petite nièce de Charles Demachy.
Le 30 prairial an X (20 juin 1802), « le citoyen Demachy Charles-François, ex-curé de La Chaussée et doyen de Vignacourt, âgé de 70 ans, résidant à La Chaussée » fait la déclaration demandée aux émigrés par le senatus-consulte du 6 floréal an X (Archives départementales. Série Q. 240 (no 398)). L'ancien curé de La Chaussée est donc toujours dans sa paroisse. Malgré son âge, il a repris son ministère dans son église vidée, son presbytère démeublé, et sa paroisse désorientée. Ses paroissiens l'ont très probablement accueilli avec grande joie, mais ils ne le conserveront plus que peu de temps. En effet, à la réorganisation ecclésiastique de 1803, Charles Demachy est nommé curé-doyen de Villers-Bocage. On le retrouve avec ce titres dans les ordos du diocèse jusqu'en 1825. Le 23 novembre 1804, il se rend de nouvveau à Hangest et y célèbre le mariage de deux sœurs : Marie et Euphrémie Pecquet. Dans ces deux actes de mariage, Charles Demachy est désigné «curé du canton de Villers-Bocage ».
Dans ce poste, le quatrième et dernier de sa vie sacerdotale, Charles Demachy compose trois années entières de prônes, probablement pour remplacer ceux qui ont été perdus pendant son absence. Vers 1819, commençant à devenir sourd, il écrit à l'évêché d'Amiens pour demander l'autorisation de confesser à la sacristie ; en même temps il sollicite la permission de prendre quelque supplément à la collation des jours de jeûne, par suite de son âge et de sa santé. En 1819, Villers-Bocage ayant été ravagé par un incendie, Charles Demachy décommande une pièce de vin afin de consacrer aux victimes du fléau le montant de l'achat. Son fournisseur, M. Desmarquet, livre cependant la commande, ajoutant que M. Demachy paiera s'il le peut et quand il le voudra.
Le 24 novembre 1825, Charles-François Demachy meurt à Villers-Bocage. L'Ordo de 1826 porte au n° 11 de la liste des prêtres décédés « Demachy, curé-doyen de Villers-Bocage, chanoine honoraire de la cathédrale, 93 ans ». Le n° 12 indique le décès d'un autre Demachy «diacre, décédé à Fontaine-sur-Somme, 63 ans ». Le R. P. Louis Sellier résume ainsi ses impressions à l'annonce du décès de Charles Demachy : «Ce matin j'ai appris la triste nouvelle de la mort de mon vénérable oncle, curé de Villers. Il a consommé sa longue carrière mercredi, à l'âge de plus de 94 ans (C'est le père Sellier qui est exact. L'Ordo de 1826 qui met « 93 ans» se trompe d'une année.). Je lui ai bien des obligations : C'est à lui que je dois en grande partie l'estime et l'amour pour la Compagnie, je n'ai jamais oublié tout ce qu'il m'en a dit lorsque je n'avais que treize ou quatorze ans. Ses paroles, profondément gravées dans mon cœur, ont servi beaucoup à me faire désirer le retour de la Compagnie, et surtout à m'y faire entrer aussitôt que je l'ai pu ». (Vie du R. P. Louis Sellier, de la Compagnie de Jésus, par le R. I'. A. GUIDÉE, page 7.).
La paroisse de La Chaussée-Tirancourt eût ainsi en Charles-François Demachy, de 1784 à 1791 d'abord, puis de 1801 à 1803, un curé qui, dans des circonstances difficiles et pénibles, resta fidèle à son sacerdoce et résida dans cette paroisse aussi longtemps que les lois le lui permirent, et malgré la présence d'un curé jureur. Après les années d'un exil mouvementé, ce curé n'eût qu'une ambition : revenir à La Chaussée et commencer à relever les ruines religieuses de la Révolution, jusqu'à la réorganisation du diocèse d'Amiens, qui faisait nommer à Villers-Bocage Charles-François Demachy curé de La Chaussée-Tirancourt et doyen rural de Vignacourt.