LA  TOPONYMIE
 

AVANT-PROPOS

Dans la vie, on rencontre fort peu de gens de la dimension de M. René DEBRIE. Il partageait sa vie entre ses cours à AMIENS et le village de CONTAY qu’il chérissait par dessus tout.

M. DEBRIE aimait la Picardie et son parler, ainsi que les gens qui y vivent. C’était un homme qui aimait ses racines et les valeurs que nous ont transmises nos ancêtres. Il a écrit de nombreux ouvrages sur la Picardie qui font référence. Il avait créé une association culturelle Picarde : EKLITRA et en était le Président.

Grâce à lui, j’ai pu entreprendre des recherches sur l’étymologie des patronymes, la toponymie et le Picard.

Sur son conseil, j’ai publié le dictionnaire des noms de famille de notre village de 1628 à 1942 et nous avions commencé en 1985 un travail sur la toponymie de LA CHAUSSÉE-TIRANCOURT. C’est ce travail que je mets à votre disposition, après l’avoir remis à jour et complété.

C’est avec une grande joie que je vous convie à lire « la toponymie de La Chaussée-Tirancourt ».
J’espère que vous y trouverez des réponses à vos questions. Un document n’est jamais terminé : il peut être imparfait voire inexact. N’hésitez pas à me faire vos remarques. De même si vous constatez des oublis, je me ferai un plaisir d’y remédier.
Je vous en remercie à l’avance.

André SEHET     

De tout temps, les hommes ont eu besoin de se nommer : sont nés les noms de baptême puis les patronymes. De la même façon, ils ont donné un nom aux choses et aux lieux pour avoir des points de repère communs. C'est ainsi que naturellement, les lieux ont été désignés en fonction de certains critères ou particularités.

La toponymie est très utile dans ce sens où son étude permet de mieux appréhender ou étudier un territoire, tant du point de vue historique qu’économique ou autre.

La toponymie et l’histoire

De nombreux lieux-dits, qu’ils soient recensés ou non sur le cadastre, nous font voyager à travers l’histoire.

A LA CHAUSSÉE-TIRANCOURT, on apprend qu’il y a eu une présence fort ancienne grâce aux noms de lieux-dits tels " le gros grès ", " la tombelle " …

On sait que les Gaulois et les Romains ont cohabité très longtemps : " le Camp de César ", " le Camp Saint-Romain ", " la Chaussée Brunehaut ".

Par contre, il ne faut pas attribuer à César tous les lieux-dits de notre territoire commençant par " camp ". En effet, n'oublions pas qu’en picard, langue employée par nos ancêtres, le terme " camp " désigne un champ …

Les Bourguignons, avant d’aller brûler Picquigny en 1470, ont séjourné dans les champs et se sont cachés derrière les haies. Subsiste le lieu-dit " la hayette aux Bourguignons ".

La Monarchie a laissé de nombreuses traces : " le Baillage ", " le pré Bourbon ".

L’ancien régime est présent aussi : " la ferme du Grenier " (à sel), " la justice ", " le fief de la Cense du Bois ", " le fief de la Porte ", " le fief de Monrefuge ", " le fief de Numel ", " le fief de Rivière ", " le fief du Brochet ", " le fief du champart ", " le fief du four bannier  ", " le pré Monsyeu ".

Les Prussiens en 1870 ont envahi notre village. Il reste un nom de lieu de tradition orale, " èche coin d’ché Prussiens " à l’angle de la rue de Belloy et de la grande rue. D’ailleurs, une balle tirée par les Prussiens était restée dans une grand-porte pendant très longtemps.

Plus près de nous, la seconde guerre mondiale nous a laissé " le bois du V1 ", " la rue du 8 mai 1945 ", " la rue Geneviève Fertel ", " la rue Jean Catelas ", " la rue Henri de Francqueville ".

La toponymie et la religion

Nos ancêtres étaient presque tous des paysans et surtout des croyants, aussi n’est-il pas surprenant de voir de nombreux lieux-dits en rapport avec la religion : " le Calvaire Boulanger ", " la vallée Saint-Martin ", " la vallée du prieur ", " le Paradis ", " les terres de l’Eglise ".

La toponymie et l’économie

La tourbe

Dans la vallée de la Somme, on a extrait la tourbe jusqu’au début du XXème siècle. De nombreux lieux témoignent de cette activité : " les grises ", " les noires " (en rapport avec la tourbe grise et la tourbe noire dont la qualité était meilleure), " èche kartchaje " où l’on déchargeait la tourbe.

La meunerie

En 1905, on pouvait encore voir plusieurs moulins en haut de la côte de Vignacourt. Il n'est donc pas étonnant que cet endroit se nomme " aux Moulins ".
A Tirancourt on trouve " le Moulin Boulanger " et vers Vignacourt " les Meuliniers ".

La chaux

Plusieurs chaufourniers exerçaient leur activité à La Chaussée-Tirancourt, ces lieux-dits le prouvent : " ch’Keufour Falize ", " ch’Keufour Jumel ", " Four à chaux de la vallée Saint Martin " et dans les champs " les fours du Bois ".
En 1930, le four à chaux de M. Auguste JUMEL à Tirancourt fonctionnait encore.

L’argile

L’argile est un matériau de construction important pour nos ancêtres. Les murs sont en torchis. Cette activité a donné les lieux-dits suivants : " rue de la carrière ", " la ferme de la carrière ", " rue de la terrière ".

La craie matériau de construction

La craie est extraite des " carrières de Beaumetz " sous le Camp César, depuis le XIIIème siècle.
De nombreuses églises ainsi que la cathédrale d’AMIENS ont été bâties grâce aux pierres extraites des souterrains. Les pierres étaient acheminées à Amiens par la Somme par " la Chaussée de Breilly ". Les déchets de tailles ont donné " les buttes ".

Le cidre

Une rue, " la rue du Pressoir " à Tirancourt atteste de cette économie et de cette tradition et fait allusion au pressoir seigneurial.

La toponymie et la nature des sols

Il est très simple d’expliquer la présence de craie dans : " les blanches terres " ou de cailloux dans : " la vallée à cailloux ", " les caillerets ", " le Pierre " ou encore de silex dans : " les terres bleues ".
Un sol pauvre laisse pousser les chardons : " le champ à chardons ".

La toponymie et l’arbre

Nos ancêtres, cultivant des champs de petite taille, laissent pousser les arbres et les haies. On trouve ainsi " l’arbre du bois ", " èche baton ", " le Val du Quesnoy ", " les hayettes du bois ", " aux Hayettes des Bourguignons ", " les arbrets " ou encore " ché z'alnwé ", " le Bucquet ", " l’épinne dèche bo ", " les haies à moineaux ", " les bouleaux ".
Les arbres sont souvent des limites et permettent aux sols d’être stabilisés. En outre, ils servent de coupe-vent.

La toponymie et la forme des champs

La forme des champs influence souvent la toponymie, soit par la superficie : " les dix journaux ", " les quatorze ", " les quarante ", " les huit journaux ", ou la forme : " le bateau et le long camp ", " l’encoignure ", " le longuet ", " les longs prés ", " les longs champs ", " la pointe ", " les buttes ", " la longue intaye ".

La toponymie et l’eau

Chacun sait la place que tenait l’eau dans un passé où l’on ne la gaspillait pas. On la puise dans le marais ou dans le village. De nombreuses rues et endroits sont en rapport avec l’eau : " rue du Marais ", " rue du Puits ", " la Mare ", " rue de la Fontinette ", " les fontaines ", " la source bleue ", " rue de l’abreuvoir " (l’une à La Chaussée et l’autre à Tirancourt comme en témoigne le cadastre Napoléon).

La toponymie et les animaux

" le cimetière aux chevaux ", " le camp Cochon ", " le trou à bléries ".

La toponymie et les "plaisirs", distractions ou sports

" le Bois d’Amour " … , " rue du jeu de ballon ", " stade Marcel Delépine ".

La toponymie et les personnalités

" Rue Henri de Francqueville ", nom de l’ancien maire tué le 1er septembre 1944 ; " Rue Geneviève Fertel ", héroïne de la Résistance déportée à Ravensbrück ; " Rue Jean Catelas ", député du front populaire fusillé par les nazis ; " ch’coin Cambronne ", neveu du célèbre général, ancien adjoint au maire de la commune.

La toponymie et la géographie

On trouve de nombreuses vallées : " la vallée Govin ", " la vallée Saint-Martin ", " la vallée d’Acon ", " la vallée Mareux ", " la vallée du prieur ".

La toponymie et la voirie

Nos ancêtres se déplaçaient le plus souvent à pied, aussi étaient-ils économes de leurs pas. C’est ainsi que les chemins entre deux lieux ou deux villages étaient le plus court possible.
On trouve ainsi :
Le chemin de Flixecourt à Amiens dit " Chaussée Brunehaut " (voie qui a été pendant des centaines d’années la seule voie reliant Amiens à Abbeville au nord de la Somme),
Le chemin de Belloy à Saint-Vast encore appelé " sentier Mayot ",
Le chemin de La Chaussée-Tirancourt à Vignacourt dit " chemin de Ligny ", plus court que l’actuelle route départementale RD 49,
Le chemin de La Chaussée à Flesselles,
Le chemin de Tirancourt à Flesselles,
Le chemin de Tirancourt à Vaux en Amiénois.
Utiliser ces chemins faisait économiser du temps et des forces.
Malheureusement, ces chemins ont peu à peu disparu à cause des différents remembrements qui ont laissé la place à des champs immenses.
De nos jours, plus personne ne peut aller à Flesselles ou à Vaux en empruntant ces chemins.

La toponymie n’explique pas tout

Malgré tout, certains noms sont inexplicables au XXIème siècle parce que les mots ont pu être déformés, tels : " les broquettes ", " ché Catachus ", " les Bruas ", " le Camp Tencheul ", " les oviots ", " chés pipètes ", " èche réchou ", " les Warlingames ", " le Camp Cantelasse ", " le Camp Sénicot ", " les routieux ", " au bois de longue attente ".

Cantelasse, Mareux, Delcaure (del = du), Tencheul, Routieux, peuvent être des surnoms attribués à des propriétaires de champs, comme par exemple " Mayot " qui est le surnom de Philippe Deflandre, tisserand à La Chaussée-Tirancourt.

Il faut également faire attention aux erreurs de copies. Exemples :
Fergand (t) – Forgand, Delacaure – Delcaure, Caufelasse – Cantelasse, Boulenger – Boulanger, Sarrazin – Sarrasin, Tancheul – Tencheul, Mayot – Maillot.
La Sence pour la Cense qui est plus vraisemblable. Rappelons que le censier en picard est le fermier.
Il faut enfin faire attention aux erreurs graphiques comme :
" au dessous du chemin de Belloy " au lieu de " au dessus du chemin de Belloy ", dans le vieux cadastre.
Une autre erreur à Tirancourt : " la rue du pressoir " et " la rue de l’abreuvoir " ont été inversées tout simplement.

La toponymie évolue…

La toponymie n'est pas figée, elle est en constante évolution. Par exemple, des noms de lieux-dits se référant à des anciens noms de propriétaires ou de locataires sont oubliés au profit des nouveaux.

Extrait du plan cadastral de 1956