Voyage à travers le temps…

Le jeune soldat «HORVILLE», originaire de La Chaussée-Tirancourt, nous raconte son «Voyage de Rochefort à St Denis, Ile de la Réunion, dans l'Afrique méridionale». Cela se passait en 1872…

Comment ce document nous est-il parvenu ? Les employés communaux de La Chaussée-Tirancourt ont rénové plusieurs tombes du vieux cimetière, dont celle de la famille «GUILLERAND – MAILLARD» (cf. «Le Vieux Cimetière» d’André SEHET). Quelques temps après, M. Raymond GUILLERAND, habitant Draveil en région parisienne, se manifeste auprès de la Commune pour la remercier des travaux effectués sur la tombe de ses aïeuls et fait un don conséquent à la caisse communale d’aide sociale en signe de gratitude. Quelques jours plus tard, il contacte André SEHET et lui fait parvenir un document manuscrit et parfaitement conservé : le journal de bord de l’un de ses ancêtres (ou d’un ami de ces derniers), le soldat «HORVILLE» affecté au 3ème Régiment d’Infanterie de Marine.

Quelques recherches effectuées aux Archives Départementales de la Somme ont permis de découvrir l’identité de ce militaire, prénommé Marie Stolane, né effectivement à La Chaussée-Tirancourt le 22 mai 1848, fils de Nicolas Arsène HORVILLE et de Marie Magdelaine Célina FOURQUER. Il était soldat de 2ème classe au 3ème régiment d’infanterie de Marine «remplaçant servant pour un militaire de la classe 1870» (extrait du registre matricule 1R635 : Amiens Garde Nationale Mobile, numéro d’ordre 1485). Malheureusement pour nous (pour nos recherches tout du moins) il ne s’est pas marié à La Chaussée-Tirancourt et n’y est pas mort non plus. Notre aspiration à vouloir le faire revivre s’arrête là pour l’instant, mais ne désespérons pas, car peut-être l’un d’entre vous reconnaîtra-t-il en lui l’un de ses aïeuls...

Ce journal retrace son voyage de Rochefort à l’Ile de la Réunion, avec maintes descriptions des villes, mers et océans traversés pendant son périple. Il nous livre ses impressions, son émerveillement, ses émotions avec des mots d'une autre époque, avec quelques invraisemblances parfois, mais nous ignorons tout de son niveau d'instruction.

Voici donc le récit de cette expédition, retranscrit sur ordinateur le plus fidèlement possible (présentation, orthographe, noms de lieux…). Evidemment, l’ordinateur a peut-être rendu plus lisible ce texte écrit à la main il y a plus de 130 ans, mais l’ordinateur a moins de charme… Jugez plutôt, à travers cet extrait, de la qualité de l’écriture (calligraphie exemplaire, pleins et déliés…), de quoi faire pâlir de jalousie nos petits écoliers du XXIème siècle.

Bonne Lecture et Bon Voyage…

Voyage de Rochefort à

St Denis « Ile de la Réunion »

dans l'Afrique méridionale

 

– Partis de Rochefort –
par le train de 4 h 45’ du soir pour Toulon «Var»

– Le 2 Avril 1872 –

– Itinéraire –

Saintes – Cognac – Gernac – Angoulême Arrivé à 9 h soir, Reparti le 3 Avril à 1 h ½ du matin. Bordeaux Arrivé à 5 h ¾ du matin gare du Nord, reparti à 6 ½ gare du Midi. Marmande – Fourgerolles – Tonnens Remarquable par sa manufacture de Tabac. Aiguillon – Port St Marie – Calérac – Agen. L’on remarque le canal latéral ou autrement dit Canal du Midi qui se prolonge jusqu’à Cette et qui vous laisse à penser la distance qu’il parcourt. Monsac – Castel-Sarrazin – Montauban. Cette ville est construite en partie rien qu’en briques ainsi que sa Cathédrale.
Toulouse Ville très riche est construite dans le même style que Montauban, ses alentours sont splendides et la végétation très précoce; de cette ville on distingue facilement les Pyrénées. Carcassonne – Narbonne.

Cette Commencement de la Mer Méditerrannée. Arrivé le 3 Avril, reparti le 4 à 5 h 35' Matin.

Frontignan Remarquable par la production de son vin quoique Pays très marécageux. Nîmes Remarquable par son superbe pont du Gard et à la sortie de la gare de cette ville et au-dessus d’elle, elle possède encore les anciennes Arênes du temps des Romains.
Beaucaire et Tarascon Ces deux villes ne sont séparées que par …

… (bas de page endommagé) …

St Chômat fabrique de poudre et capsules, ce Bourg est situé à l’extrémité d’une plaine des plus vastes et des plus stériles de la France. Marseille L’on passe sous un tunel dont la distance à parcourir est de 17 minutes et de Marseille à Toulon il y en a encor 7 tant que dessous les Alpes que dessous les Pyrénées Orientales.
Enfin nous arrivons à Toulon à 3 h ½ soir et quelques instants nous suffisent pour descendre de Wagon et nous rendre à la caserne du Morillon quartier de l’Infanterie de Marine. 7 jours de séjour dans Toulon.

Nous avons quitté la caserne, traversé une partie de l’Arsenal et de là monté à bord d’un Chaland et remorqué par le vapeur Morillon et conduit à bord du transport la Seine qui se trouvait dans la rade dont voici la description et composition de son équipage :

Sa largeur est de 90 à 95 m : et sa longueur de 11 métres, 3 Mats une magnifique voilure et une machine de la force de 150 chevaux

50 passagers civils, Officiers, Femmes et enfants. Total 452 personnes à bord.

Levé l’ancre à 2 h ½ soir par un ciel bleuet et une mer excessivement calme et dès 4 h ½ nous perdîmes de vue les côtes de notre chère France qui disparurent à nos yeux comme un nuage et nous traversames ensuite le Golfe de Gênes.

– Description de cette Ile –

Le Gouvernement de l’Ile d’Elbe, chef-lieu Porto-Ferra Port et petite ville trés fortes sur les côtes septentrionales, 4000 habitants, lieu d’exil de l’Empereur Napoléon 1er depuis le mois de Mai 1814 jusqu’au 26 février 1815.
Vu ensuite le Rocher de Monté-Christo et l’Ile Corse.

– Description de cette Ile –

Le Gouvernement de Cap-Coast ou le Cap-Corse se compose de la ville de ce nom et posséde 8000 hts est situé sur la Côte d’Or avec une bonne rade et quelques forts ou stations dont les principaux sont: Acra – Alacembon et Succombie à ce gouvernement se rattache Christianbourg et d’autres possessions Danoises cédées par le Danemark et l’Angleterre. La Gomme, l’Ecaille de Tortue, l’Ivoire et la poudre d’Or forment le principal revenu de la Cambie et du Cap Corse.
Quelques heures aprés vu les côtes d’Italie et de la Sardaigne que nous perdîmes vers le soir et la mer était si belle que nous tendîmes les voiles.

Une légére brise commence et nous mîmes de nouveau les voiles à leur complet et bientôt nous aperçûmes les Côtes d’Afrique que nous cotoyâmes tout le jour dont nous crumes voir certains déserts de sable.

– Description de la Sicile –

Le royaume des deux Sicile est divisé administrativement en 32 provinces dont 15 sur le Continent et 7 dans la Sicile subdivisé en 74 cantons. La superficie des 2 Siciles est de 120.000 kil. Carrés et la population est de 9.051.747 hts ce qui donne plus de 79 habitants par kilométre carré. Mais le royaume de Naples fourni plus des ¾ de cette population.
12 h ½   Passé en vue de l’Ekna.
L’Etna ou le Mont-Gibel sur les côtes de la Sicile est d’une hauteur de 3.237 métres et aussi actif et non moins terrible que le Vésuve.

8h ½ matin   Vu un fort banc de sable à la pointe de Tunis.
10 h ½   Passé devant le Cap-Blanc. En vue du Maroc (plus vraisemblablement la Tunisie) et à midi devant le mont Ulrich et la pointe de Tunis.
En vue de Malte à 5 h soir.

– Description de Malte –

Malte est située dans la mer Méditerrannée entre la Sicile et Tripoli est renommé par la douceur de son climat, par la beauté de ses roses, par son miel délicieux, par ses fruits et ses riches récoltes de coton.
Cette île n’est située que sur un rocher de 255 k. carrés et sa population est de 110.000 habitants. Le Port principal est «Cité-Lavalette» elle appartient aux Anglais. Au large à 10 h soir.

– Description de la Grèce –

La superficie de la Grèce est de 47.615 k carrés et sa population est de 1.043.155 hts ce qui donne à peu prés 24 hab. par kil. carré, ce royaume est divisé en 10 Départements et le principal port Militaire est «Poros» ou se trouve l’Arsenal de la Marine Royale. Le lac le plus remarquable de la Grèce est Topolias Copahis il n’existe aucun Commerce que pour leurs usages personnels.

En vue de Port-Saïd, situé à 2 lieues d’Alexandrie «Ey…
Mouillé à 9 h ½ matin en face le quai François-Joseph, resté toute la journée en cet endroit pour y faire du Charbon et de l’eau, enfin un chargement de vivres nécessaires pour l’Equipage et Passagers.
Le Port-Saïd, n’existe que depuis le percement du Canal de Suez et ne fournit aucune récolte ni Commerce, mais ce petit port est très utile à la Marine, car c’est à peu prés là que mouillent tous les petits bâtiments et transports pour se munir de tout ce qui leur est épuisé et refaire leur chargement avant de rentrer dans le Canal de Suez.

Port-Saïd n’a rien de bien remarquable quoique pourtant il existe un grand changement de mœurs, tenue et langues pour ne pas être plus éloigné de la France; ce port est habité par les Egyptiens mais en plus grande partie par les Arabes – Français – Espagnols et Italiens.
Passé toute la nuit dans cet endroit.

Quitté la rade à 9 h ½ matin et quelques instants aprés, rentré dans le Canal de Suez ou Mer Morte qui traverse le désert de l’Arabie à la droite de l’Afrique sa longueur est de 40 lieues marines et sa largeur de 60 à 70 métres; quoique dans certains endroits il se trouve plus ou moins large ce qui occasionne que deux Navires ne peuvent passer de front, et l’on est forcé de stationner la nuit dans le lac Thesma car la nuit la navigation est impossible et sur le parcours l’on traverse 3 Lacs. Voici les noms :
1° Lac Ballat.
2° Lac Thesma.
3° Lac Salé ou Lac Amer.
Sur le trajet de Port-Saïd au lac Ballat à gauche ce n’est qu’une immense plaine de Sable et d’Alphat qui est la seule plante qui puisse pousser dans ces contrées; à droite ce qui est trés curieux c’est de voir les Salines qui représentent une Mer de Glace mais ce coup d’œil est d’une trés court durée. Car ce sont les montagnes de sable qui dominent, et de temps en temps l’on remarque quelques marchands Egyptiens qui vont de Suez à Port-Saïd et du lac Ballat à l’extrémité du Canal ce ne sont plus que de fortes montagnes de sable, ce que l’on remarque aussi ce sont quelques habitations construites en planches et en terre que l’on nomme Gare et dans la plupart ils se trouvent quelques Hôtels et ne sont habitées que par une famille ou deux et ne sont séparées que d’une lieue ½ ou deux et qui en partie sont tenus par des Egyptiens et Européens.

Mouillé le 23 à 4 h soir dans le lac Thesma et resté toute la nuit.
Levé l’ancre le 24 Avril 7 h matin et mouillé dans la rade de Suez ce même jour à 10 h matin et resté toute la journée en cet endroit.
Suez étant trop éloigné du Port je ne puis vous donner plus de détail ce que je regrette c’est de ne pouvoir vous en donner une description car aux dires des officiers qui sont allés à terre, la ville est très jolie.

Et à ce que j’ai pu voir du côté de la Mer , cette ville est entourée de montagnes d’une hauteur prodigieuse.
Levé l’ancre à 6 h matin. Passé en vue de la Fontaine Moïse endroit où elle fut construite en Souvenir du Rocher que Moïse frappa de sa baguette et dont il en fit sortir l’eau qui servit à engloutir l’Armée de Pharaon à leur passage dans la Mer Rouge vu ensuite le Mont-Sinaï où Moïse dicta aux Egyptiens les 10 Commandements de Dieu et brisa le veau d’Or et à quelque mille vu le Mont Thabor Enfin toute la journée nous cotoyâmes les côtes d’Egypte et d’Asie et vers 7 heures soir nous aperçumes deux Phares qui nous signalérent la terre de La Meck.

Une chaleur accablante se fit sentir et le barométre monte à 60°, jugez quel atmosphère étouffant et malheureusement l’eau nous est rationné. Dans la nuit vers les 4 heures le Pilote nous dit que nous passions prés d’un banc de Corail.

Même température mais dans la soirée il n’y avait pas d’air et vers les 7 h nous apercumes au lointain de brillants éclairs ce qui nous fit supposer qu’il y avait un orage dans quelques contrées voisines mais rien n’arriva pour nous dans cette soirée car la mer était si calme que ses flots nous balançait légérement.

A mon réveil ma première idée fut de porter mes regards sur cette immensité d’eau et peu à peu je commençais à découvrir la pointe d’un rocher et à premiére vue je crus qu’il y en avait eu un seul, mais non il y en avait huit séparés les uns des autres à trés peu de distance et j’en remarquais un surtout qui ressemblait plutôt à un Ilot qu’à un rocher car il était d’une forme plate et je ne vis qu’une de ses faces et qui me parut le plus grand.
Ces rochers sont vraiment remarquables et sont d’une grande hauteur; utilité: ce sont des rochers de Nacre et nous les perdîmes de vue vers les 7 ½ soir.

Une chaîne innombrable de rochers se découvrent à nos yeux le soleil resplendissant et ses rayons leur donnaient un aspect vraiment pittoresque. Aux pieds de ces rochers se trouve une maison Blanche et pouvant avoir 2 étages, je ne sais approfondir à quoi peut servir cette maison place surtout aussi isolément, il faut que les personnes qui l’habitent soient employées pour les phares, en ce cas pour les habitants c’est vraiment un séjour de solitude.
4 ½ Soir   Nous entrâmes dans le détroit d’Aden l’entrée de ce détroit est défendue par un Fort trés bien situé est taillé dans le Roc qui en cas de siége offrirait un grand avantage. Cette île où se trouve ce fort appartient aux Anglais.
5 ½ Soir   Un temps étouffant le Ciel est couvert de nuages et l’orage semble nous menacer mais peu à peu le ciel reprend sa clarté et le soleil aprés avoir répandu sa chaleur tropicale se couche à 6 heures.
Ce qui frappe encore la vue du voyageur c’est que la terre en partie est trés noire, à 6 h ½ soir nous aperçumes la pointe de l’Arabie où se trouve Moka et de là nous entrâmes dans le détroit de Bad-El-Madin et le lendemain matin nous mouillâmes dans la rade d’Aden.

En vue de la ville d’Aden. Cette ville est entourée de rochers d’une hauteur prodigieuse et l’on aperçoit difficillement quelques maisons dont la construction est assez remarquable et en général d’un Style Anglais Cette ville a un port de Mer assez conséquent rapport au passage des Navires qui se dirigent dans l’Océan Indien cette ville appartient aux Anglais.
A premiére vue l’on croirait voir le panorama de la Suisse car le peu de maisons que nous y avons vu ressemblent à des Chalets. L’eau douce y est fort chére et peu de navires y font leurs provisions car elle vaut 25 et 30 francs le tonneau de 500 litres et encore ce n’est que de l’eau distillée.
Nous crûmes y séjourner quelques jours, mais l’on ne fit aucune provision et nous levâmes l’ancre à 6 h soir.
Le vent ne nous étant pas favorable nous fûmes forcé de marcher à la machine, nous n’en étions pas fâché de continuer notre voyage quoique étant trés beau, mais lorsque l’on est forcé d’endurer la soif par une chaleur comme il en fait une, ce qui ne fait pas plaisir, car maintenant nous voilà réduit à manger du lard «Salé comme le diable» et que l’on met déssaler dans l’eau de Mer, ce qui je vous assure ne lui ôte pas son âcreté et ce qui peut nous occasionner le Scorbue ce qui serait causé par ordre que le Commandant aurait reçu avant de quitter la France. Que le Commandant nous aurait ainsi rationné. Et à l’heure ou je vous dépeins cette misére il existe encore à la cale 3 caisses d’eau de 15 000 litres ce qui forme un total de 45 000 litres, et encore nous autres, nous sommes forcé de pomper jour et nuit pour distiller de 2000 à 2500 litres par jour, ce qui fait voir que pour un si petit voyage, il est triste de voir de la part d’un Officier si haut placé de laisser souffrir la soif à tant d’hommes, surtout avec une si grande quantité d’eau à bord pour accomplir notre voyage qui ne doit plus être que de 25 à 30 jours avant d’arriver à notre Destination.
Tandis que M.M. les Officiers en gaspillent de 10 à 15 litres par jour sans compter les autres boissons qu’ils ont sous la main, au lieu que nous qui travaillons toute la journée et une partie de la nuit, lorsque nous réclamons un quart d’eau, ils nous donnent pour toute réponse, que ce qu’ils nous donnent est déjà de trop.

Le Commandant donne des ordres au Maître-Mécanicien et bientôt les feux sont éteints, L’Hélice est retirée de sa place respective et nous sommes forcé de vaguer au gré des vents qui sont contraires à notre marche, pour y chercher le vent qui doit nous être plus favorable et pour cela ce n’est qu’une manœuvre continuelle et qui pourrait nous occasionner un long retard et qui serait causé par le Commandant pour ne pas avoir fait ses provisions de charbon avant de quitter Aden.

Temps favorable. 7 h soir, naissance d’une petite fille bord, naissance survenue à la suite d’une chute que sa mére eut le malheur de faire dans la journée, malgré cet accident l’enfant se porte trés bien.

Un vent favorable gonfle nos voiles et aussi nous marchâmes avec une rapidité satisfaisante. A 6 h soir apperçu la Terre.

La mer est favorable par son calme mais il n’y avait pas à s’y fier car tout à coup le vent s’élève et s’engouffre dans les voiles et l’on entend le mugissement des vagues qui viennent avec fureur se briser contre le bâtiment et quelques-unes retombent sur le pont avec fracas.
4 h ½   Le Ciel était couvert et la mer de ses flots se gonflaient avec fureur, et semblait nous annoncer une grande tempête pour la journée; c’est ce qui se réalisa, car au lieu de se calmer elle gravissait de plus en plus.
Quand elle est calme, quelle est belle, mais je vous assure que l’on ne croirait jamais que dans son sein elle renferme tant de furie.
Nous avions aussi l’espoir de vaincre ce fameux mal de Mer, il y avait de quoi rire pour ceux qui n’avaient rien «Mais je n’étais pas de ceux-la» on en voyait des groupes courir aux babord à la poulaine «Lieux d’aisance» d’autres se tenaient aux cordages et s’efforcaient de rendre.
Nous espérions que la nuit serait meilleure hélas! non c’était encore pis que dans le jour et ce n’est que dans la nuit du 11 à 12 quelle commença à se calmer vers les 3 ½ du matin et reprendre son calme traité qui ne dura pas longtemps.

A mon réveil j’apprends qu’un Pharmacien de 1ère classe de la Marine se rendant à notre même destination est mort dans la nuit prédédente «Vive émotion dans tout l’équipage»
6 h matin   En vue des côtes de Socotara situées dans l’Océan Indien et qui en sont plus remarquables par leur hauteur qui dépassent de beaucoup celles des nuages et nous les perdîmes de vue vers le soir.
6 h soir   Un profond silence se fait on entend dire de bouche en bouche que l’enterrement aura lieu aujourd’hui. Effectivement on hisse au grand mât la Flamme de Guerre et au mât d’Artimont le Pavillon Français.
Un mot de sentiment pour ce Pharmacien qui en réalité ne met rien; il y a quelques jours, il était souriant et heureux parmi ses amis et tout à coup la volonté supprême le frappe la frappe de la mort, malgré la science qu’il posséde. Je reviens à la Cérémonie.
Sur l’arriére du Bâtiment repose le corps du Pharmacien sur un lit de fer sans aucune fourniture et un Boulet attaché à l’une de ses jambes.
Les officiers en grande tenue récitent quelques Priéres et une fois finie une vive détonation de feux de Peloton se fait entendre, deux coups de canon retentissent, et au 3ème coup, le mort que l’on vient de placer sur une planche, la tête placée du côté de la mer, est lancé avec rapidité par le poids du boulet qui le fait descendre dans la profondeur de l’Océan
Voici en quelques lignes la triste cérémonie qui a eu lieu aujourd’hui Dimanche pour terminer la soirée.
8 h 45 Soir   La mer se gonfle de nouveau et le mal de mer nous reprend, mais avec moins de force et nous ne sommes pas les seuls, Messieurs les Officiers ainsi que leurs chères petites Dames ont le cœur qui bat bien fort par le balancement des vagues.

Ciel et Eau et dans la nuit de ces 2 derniers jours un grand orage éclata au-dessus de nous et à 2 h 25 du matin la Foudre tomba sur notre Bâtiment, qui, grâce au fil Conducteur du mât d’Artimont nous n’avons par bonheur eu aucun accident à signaler.
Et depuis le 17 de ce mois nous sommes dans les régions du Poteau Noir endroit nommé, à cause du mauvais temps qu’il y fait journellement.

Ciel et Eau. Enfin notre Commandant voyant le temps venir un peu trop long pour ce voyage se décide à faire carguer les voiles et marcher à la machine.
A cette époque nous sommes éloigné de notre route à tel point que nous sommes plus prés de la Cochinchine que de l’Ile de la Réunion et tout cela pour ne pas avoir voulu faire de Charbon.

Le ciel est couvert et un vent foudroyable déchire une voile «d’un bout de dehors d’une vague du grand mat» le baromètre indique une tempête on agit avec prudence, on cargue toutes les voiles c’est-à-dire on les rentre et une bonne partie du jour et de la nuit nous restâmes ainsi ballottés et à soutenir la Lutte, les vagues passent par-dessus le Pont et d’autres arrivent avec fureur derriére nous et lance le Navire à une grande hauteur, et craignant toujours de sombrer en retombant.
Ce n’est que vers 6 heures soir que la Mer se calma un peu et ce ne fut pas un malheur.

La pluie cesse , mais un vent formidable nous fait marcher à grande vitesse et bientôt nous nous trouvons à hauteur de Madagascar
On vire de bord et nous marchons directement sur Bourbon encore quelques jours et nous en serons tout prés.

3 h ½ Mouillé dans la rade de St Denis resté toute la nuit en rade.

Des Chalands de la direction de la Marine viennent nous chercher à bord de la Seine et ¾d’heure aprés nous mettions pied à terre aprés avoir resté 70 jours en Mer et celà je vous assure fait un grand plaisir lorsqu’on quitte le Bâteau.
7 h matin   La Fanfare nous attend sur le port. Le Commissaire fait l’appel et aprés nous nous rendions à la Caserne Musique Colonel en tête et une bonne partie des habitants.

«Enfin c’est le 18 Juin 1872 à 7 heures du matin que se termine notre voyage».