LES  ANGLAIS  CAMPENT  À  LA  CHAUSSÉE
 
 
Peinture de Jean Maerten

Le 29 août 1475, le Traité de Picquigny met fin à la guerre de cent ans. Le Roi de France, Louis XI, et le Roi d’Angleterre, Édouard IV, décidèrent de se retrouver à Picquigny afin d’y signer le traité sur une petite île de la Somme que l’on appellera par la suite : « L’Île de la Trêve ».
Les Français arrivent par la rive gauche et les Anglais par la rive droite. Les Anglais ont leur campement à La Chaussée-Tirancourt ; avant de rejoindre Picquigny, ils traversent notre village.

Philippe de Commines raconte cet événement. Dans cet écrit on s'aperçoit que les protagonistes s'entourent de précautions pour éviter que ne se reproduise un événement tragique comme en 942.

« Il fut alors avisé que pour mettre fin à tout, il fallait décider le lieu où les deux rois se verraient... Après avoir visité la rivière, nous arrêtâmes que l'endroit le plus beau et le plus sûr était Picquigny, á trois lieues d'Amiens, solide château qui est au vidame d'Amiens, et qui avait été incendié par le duc de Bourgogne. La ville est basse et traversée par la rivière de Somme, qui n'est pas guéable et, en ce lieu, n'est pas large.
Par où venait le Roi, le pays était beau et large. De l’autre côté, par où venait le Roi d'Angleterre, le pays était très beau, sauf près de la rivière : il y avait là une chaussée de deux grands traits d'arc de long, avec des marais de part et d'autre.
Une fois l'endroit choisi, on décida d'y faire un pont fort solide et assez large, et nous fournîmes charpentiers et matériaux. Au milieu de ce pont fut aménagé un fort treillis de bois comme on en fait pour les cages des lions, et les trous entre les barreaux étaient juste assez grands pour y passer le bras aisément. La partie supérieure était couverte de plancher simplement pour garantir de la pluie, et cet auvent pouvait abriter 10 ou 12 personnes de chaque côté. Le treillis s’étendait jusqu'aux bords du pont, afin qu'on ne pût passer d'un côté à l’autre. Sur la rivière, il y avait seulement une petite barque avec deux hommes pour passer ceux qui désiraient changer de rive.
Le Roi d'Angleterre vint le long de la chaussée, très bien accompagné et semblait bien roi... Ledit Roi avait une barrette de velours noir sur sa tête, avec une grande fleur de lis de pierreries. C'était un très beau prince, de haute taille, mais il commençait à engraisser, et je l'avais vu autrefois plus beau...
Lorsqu'il fut arrivé á quatre ou cinq pieds de la barrière, il ôta sa barrette et plia le genou jusqu'à un demi-pied du sol environ. Le Roi (Louis XI) lui fit aussi une grande révérence... Ils commencèrent à se donner l’accolade par les trous, et le Roi d'Angleterre fit encore une plus profonde révérence.
Le Roi commençant l’entretien lui dit :
"Monseigneur mon cousin, soyez le très bien venu. Il n'est personne au monde que j'ai désiré voir autant que vous. Et loué soit Dieu de ce que nous sommes ici assemblés à cette bonne intention".
Le Roi d'Angleterre répondit à ces paroles en assez bon français...
Ensuite, les lettres que Louis XI avait fait remettre au Roi d'Angleterre, furent déployées, touchant le traité conclu. Et le chancelier (anglais) demanda au Roi si elles lui convenaient. A quoi le roi répondit que oui...
Alors fut apporté le missel, et les deux rois posèrent une main dessus, et l'autre main sur la vraie croix. Et ils jurèrent tous deux de tenir ce qui avait été décidé entre eux : une trêve de neuf ans, s'étendant aux alliés de part et d'autre, et l'engagement de procéder au mariage de leurs enfants...
Le Roi fit retirer ceux qui étaient avec lui, et nous dit qu'il voulait parler, au roi d'Angleterre, seul. Quand les deux rois eurent un peu parlé, le Roi (Louis XI ) m'appela et demanda au roi d'Angleterre s'il me connaissait. Il lui répondit que oui, dit les lieux où il m'avait vu... du temps que j'étais avec le Duc de Bourgogne.
Le Roi (Louis XI ) demanda si le Duc de Bourgogne ne voulait pas respecter la trêve, comme il le désirait. Le Roi d'Angleterre lui dit qu'il la lui offrirait encore, et que, s’il ne voulait pas l'accepter, il s'en rapporterait á eux deux...
Le Roi (Louis XI ), avec les plus aimables et gracieuses paroles qu'il put, prit congé du roi d'Angleterre et dit quelque bon mot à chacun de ses gens. Et tous deux se retirèrent de la barrière et montèrent á cheval. Louis XI s'en alla á Amiens, et le roi d'Angleterre à son camp où l'on envoyait de la maison du roi tout ce qu'il lui fallait, y compris torches et chandelles.
 »

Mémoires de Messire Philippe de Commines           
3ème édition - Paris 1661 - pp. 288-294             
Document transmis par M. Jean Lefèvre              
Professeur honoraire d'histoire - Ecole Normale d'Amiens 1967

Cette pierre est située près de la Collégiale de Picquigny ; elle a été érigée en 1975 afin de commémorer le 500ème anniversaire du Traité de Picquigny.


Article du Courrier Picard du 5 août 1975 - Document ADS transmis par M. Jacques FOURÉ