LE  POSTE  DE  GUET  DU  CENTURION
LA  CHAUSSÉE-TIRANCOURT « LES  MOULINS »

Fouilles de Joël MOLIERE
Avril 1972 - Au chemin de Ligny

Une voie romaine figure sur les plans Déchelette (manuel d’archéologie préhistorique celtique et gallo-romaine) et dans le manuel d'archéologie de Grenier et Camille Jullian, entre Calceatea via (La Chaussée-Tirancourt) et Vignacourt, traversant la forêt de Vignacourt par le gué de Bachimont (le ruisseau a disparu) Mont de Bacchus - Bacchi Mons). La voie fait un coude brutal vers le nord, pour rejoindre la Chaussée Brunehaut, la voie impériale des courriers et des légions, de Lyon à Boulogne-sur-Mer. On l'appelle la voie Meldeuse non pas à cause d'une circonstance scatologique mais parce que le peuple des Meldi l'empruntait en venant de Meaux.

Le coude que fait la voie à l'orée de la forêt fait songer à un détour de quelque monument (malheureusement sous un pylône électrique) car il n'y a pas d'obstacle naturel, sauf la ferme actuelle dont le propriétaire, M. Marc, chassait à courre le lièvre, naguère, et s'appelle les Dardanelles, souvenir d'un militaire revenu de cette guerre atroce contre les Turcs.

J'avais construit ma maison de bois sur ce chemin, jalonné de cercles de l'âge de bronze (Atlas Agache) et de villas gallo-romaines, car la campagne était plus peuplée qu'aujourd'hui - val du Quesnoy, La Fergant, vallée Govin, parking voie rapide - mais, c'est une autre histoire.

Charles le Téméraire était passé par là, il avait massé ses troupes à la Hayette des Bourguignons, avant de s'emparer du château de Picquigny, dont il brûla toutes les archives... dommage !

Un puits sur le bord du chemin intriguait par sa présence en pleine nature, éloigné de toute habitation, à part les moulins du XVIIIe siècle, à 500 m, dont il ne reste rien.

Pour la première fois, le champ « Dabrowski » qui n'était qu'une pâture fut labouré en 1972. Un gros bloc de grés de 1,10 m de long fut accroché par la charrue du cultivateur (le grés a disparu...). Dans la terre noire et grasse, j'ai trouvé quatre monnaies Valérien* (253-260) ; Gallien* (253-258) ; Victorin* (268-270) et Tétricus* (270-273). Après sondage, il s'agissait d'un fond de cabane. De forme ovale, 7 m de long est-ouest et 4,60 m nord-sud, avec une profondeur de 2,60 m.
Le rebord de craie de la fosse était usé par l'érosion, mais il subsiste des témoins stratigraphiques et du mobilier en céramique, ainsi que des outils de fer.
(*) Empereurs romains

HABITAT A FOYER ENTERRÉ
« LES MOULINS » La Chaussée-Tirancourt 1972

Au pourtour, quatre traces de trous de poteau, laissant présumer une structure extérieure soutenant la toiture. A l'est, une rampe de descente (sans escalier) en pisé, avec des trous de poteaux. Au sud, une banquette de 0,50 m de large à 0,50 m du sol.

A l'ouest, une banquette taillée dans la craie de 2m de long et 2,30 m de large (2 hommes couchés) s'appuyant au foyer à -1,60 m. Autour du foyer, des scories, des cendres ; au nord-est, déchets de cuisine, os, coquillages ; mortier en sigillée rouge ;
    - céramique à la tête de lion, une clochette en bronze pour les animaux ;
    - un bronze d'Hadrien, très usé (dessin j) ;
    - deux fibules à charnières et ressort (dessin), plus une tête de paon ;
    - éléments d'huisserie en fer dispersées sur la rampe d'accès et outils : burin, faucille, fourchette à viande, four, chaudron (Harpago : mot d’origine grec, grosse fourchette servant à prendre la viande dans le pot au feu), couteau, hache, mors de cheval (type brisure centrale), faux, faucille, épieu, lances, pointe de flèche ;
 

    - un sarcophage brisé, forme cuvette IIe siècle, ayant servie pour le foyer, enterré à -1,30 m, recouvert de terre cuite rougeâtre, renforcée de tuiles romaines cassées, silex et autres blocs de craie renforçaient ce foyer surélevé. Du travail de Numide, diraient les maldisants, avec ce mépris total pour le défunt vidé de son sarcophage comme un escargot de sa coquille.

 

HABITAT ENTERRÉ
La Chaussée-Tirancourt 1972


Poste de guet et voies de communication

Comme aucun berger, aucun paysan ne semblait vivre à cet endroit, cette bordure de plateau balayée par les vents, surplombant la vallée de la Somme, la vallée d'Acon vers le camp César, la cavée de Vignacourt et la forêt de Belloy - l'hypothèse d'un poste de guet s'est imposée. Les militaires ne laissent pas de trace de leur équipement (ils doivent le restituer après avoir quitté l'armée) comme Saint Martin qui ne donna que la moitié de son manteau au mendiant.

Mais les monnaies précisent que la crise du IIIe siècle a nécessité des réformes militaires développant la cavalerie cuirassée, confiant les légions à des chevaliers et non plus aux sénateurs.

Gallien, fils de Valérien, réussit à maintenir les voies d'accès contre les barbares Goths et Alamans ; il édicte un texte de tolérance pour les chrétiens et accepte un « empire Gaulois » avec Postumus, qui défend le Rhin.

Les escouades de cavaliers se déplaçaient le long de la Somme, par deux, comme les gendarmes (couchettes pour deux).

Au nord, la voie rapide tracée entre Abbeville et la cité industrielle d'Amiens a recoupé 1 sépulture en incinération où j'ai trouvé 3 pointes de lances en fer, 1 Venus au bain, en terre blanche et une monnaie de Tétricus (268-273). Est-ce une tombe de cavalier ?